Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Le jeune homme, si soign'e `a son ordinaire, tir'e `a quatre 'epingles, l’adolescent qui incarnait l’'el'egance, `a Vernon tout au moins, n’'etait pas ras'e, ses cheveux 'etaient d'epeign'es, ses v^etements couverts de poussi`ere, son faux col compl`etement froiss'e, sale, et sa cravate desserr'ee.
Th'eodore se m^elait `a la foule des voyageurs pour gagner la sortie. Machinalement, d’un air 'egar'e, ses yeux se fixaient sur l’employ'e `a casquette galonn'ee qui recueillait les billets. Il le connaissait de vue ; mais `a c^ot'e de cet homme, se trouvaient deux personnages que Th'eodore connaissait de vue 'egalement, pour les avoir, `a maintes reprises, apercus dans les endroits les plus divers `a Vernon, au caf'e, au th'e^atre, pr`es des casernes, dans les magasins.
Il s’imaginait que c’'etait l`a deux retrait'es qui vivaient en rentiers ; parfois, il 'echangeait m^eme avec eux de petits bonjours discrets, `a la mani`ere de gens qui, bien que n’ayant jamais 'et'e pr'esent'es les uns aux autres, se croient oblig'es `a des politesses par ce fait qu’ils se rencontrent fr'equemment.
Th'eodore venait de donner son billet, il s’appr^etait `a prendre une voiture pour se faire conduire chez son p`ere.
Le jeune homme 'etait tr`es ennuy'e, et son bel enthousiasme de la veille 'etait compl`etement tomb'e. Il avait pass'e par de cruelles d'eceptions, et, de plus, la lumi`ere s’'etait faite dans son esprit ; il s’'etait rendu compte de l’effroyable incorrection de sa conduite et 'etait d'ecid'e `a tout avouer `a son p`ere. C’'etait dans ce but et pour pr'eparer le malheureux notaire `a la sc`ene qui 'evidemment allait avoir lieu que Th'eodore lui avait t'el'egraphi'e :
« J’arrive de Paris par le train de midi treize.
Au moment o`u il montait en voiture, Th'eodore poussa un cri et devint tout p^ale. Les deux messieurs qu’il connaissait de vue, les deux hommes aux fortes moustaches, se trouvaient de part et d’autre des porti`eres. Ils les ouvraient simultan'ement et montaient dans le fiacre o`u Th'eodore se trouvait d'ej`a.
Stup'efait, interdit, le jeune homme allait les interroger, il n’en eut pas le temps.
L’un d’eux lui d'eclarait :
— Vous ^etes bien monsieur Th'eodore Gauvin, n’est-ce pas ?
— Mais… r'epliqua le jeune homme.
L’autre personnage intervenait et d'eclarait :
— Nous vous connaissons d’ailleurs, et nous allons vous accompagner.
— Ah ca, balbutia Th'eodore, devenu livide, qui ^etes-vous, messieurs ? O`u m’accompagnez-vous ?
Et d`es lors, le jeune homme crut sa derni`ere heure venue, il crut qu’il allait s’'evanouir, lorsque l’un de ses interlocuteur eut r'epliqu'e :
— Nous sommes agents de la S^uret'e, et nous vous emmenons `a M. le Procureur de la R'epublique, sur sa requ^ete.
***
L’interrogatoire de Th'eodore se poursuivait dans le cabinet de M. de Larquenais. Le jeune homme 'etait absolument d'efait, abruti par les 'ev'enements qui venaient de se produire. Ainsi, il 'etait d'ecouvert, arr^et'e, interrog'e comme voleur. Il se trouvait en face, non point de M. de Larquenais, homme aimable et jovial, avec qui il avait souvent plaisant'e, d'ejeun'e, fait des parties de chasse et de p^eche, mais en face du procureur de la R'epublique.
— Monsieur Th'eodore Gauvin, insistait le magistrat qui affectait un air s'ev`ere, poursuivez vos aveux, et dites-nous le but de votre venue `a Paris.
— Monsieur, s’'ecriait Th'eodore, j’ai reconnu le vol que j’ai commis et je le d'eplore, ne m’en demandez pas plus. Je vous l’ai dit tout `a l’heure et je vous le r'ep`ete, j’aime une femme, une femme du monde, une femme mari'ee ; mais je ne puis vous la nommer, sans la compromettre.
— Pourquoi ^etes-vous all'e `a Paris ?
— Pour suivre cette femme.
— D`es lors que s’est-il pass'e ?
— Je l’ai suivie, et j’ai acquis la triste conviction qu’elle trompait son mari.
M. de Larquenais dissimula un sourire, et il interrogea finement :
— Elle trompait son mari ? Pas avec vous ?
— H'elas non, fit na"ivement Th'eodore, pas avec moi, mais avec un autre. Je l’ai vue entrer chez cet amant, rester chez lui.
— Ensuite ? interrogea le procureur, qu’avez-vous fait ?
— Je vous l’ai d'ej`a dit, monsieur. Fou de douleur et de d'esespoir, j’ai err'e toute la nuit dans Paris, j’ai parcouru la ville jusqu’`a l’aube. J’ai dormi quelque part, je ne sais o`u, sous des ponts. Puis enfin, j’ai repris courage, et je suis revenu. Me voici maintenant d'eshonor'e, perdu, aux mains de la justice.
Th'eodore avait l’air si troubl'e, si d'esol'e, que le procureur r'esolut de lui apporter quelque consolation :
— Heureusement, fit-il, que c’est M. votre p`ere seulement que vous avez vol'e, et que, dans une certaine mesure, votre faute est att'enu'ee par votre repentir. Cet argent qu’en avez-vous fait ?
D’un geste f'ebrile, Th'eodore sortait de sa poche une liasse de billets :
— Voici la somme `a peu pr`es compl`ete, d'eclara-t-il.
Le procureur compta, il restait un peu plus de dix-sept cent cinquante francs.
Le procureur interrogea :
— Pourquoi aviez-vous d'erob'e cette somme ?
— Ah, monsieur, monsieur, sanglota Th'eodore, je voulais fuir avec elle… l’enlever… partir `a l’'etranger et me refaire avec la femme aim'ee une nouvelle existence.
Le procureur avait de plus en plus envie de rire de l’enthousiasme na"if de cet adolescent.
M. de Larquenais 'etait plut^ot sceptique dans l’existence, et comprenait mal la mentalit'e des gens qui ont ces amours de mousquetaire, peu en harmonie avec les exigences de notre vie moderne.
« Il se croit au si`ecle dernier, pensait-il. Ces jeunes gens ne doutent de rien. Enlever une femme du monde et aller vivre `a l’'etranger avec elle, avec dix-huit cents francs pour tout capital, c’est un peu enfantin. Moi j’aurais compris qu’il fasse la noce, enfin ca le regarde.