Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Il y avait dans cette phrase une sorte de bl^ame implicite `a l’adresse de M. Havard ; Juve devait s’en rendre compte car il se h^atait de reprendre, pour ne pas indisposer son chef :
— Eh bien, c’est entendu, je pars rue Richer ! Je vais m’occuper de retrouver la malle jaune et le cadavre qu’elle doit contenir. Comptez sur moi !
Puis, avec un vague sourire, Juve ajouta :
— En m^eme temps, je rassemblerai les preuves de la culpabilit'e ou de l’innocence de ce jeune homme.
7 – UNE NOUVELLE AFFAIRE GOUFF'E
Tandis que Juve sautait dans un taxi-auto, pour se rendre `a l’appel de M. Havard, Fandor plus 'econome, et surtout moins press'e, descendait `a pied au carrefour Rochechouart.
— Je vais prendre l’autobus, murmurait-il, il me conduit `a ma porte.
Fandor, tout le temps du trajet, naturellement, songeait `a la nouvelle que le t'el'ephone, quelques instants avant, avait apport'ee `a Juve.
« Un crime dans ma rue, pensait le journaliste, ca c’est rigolo ! Pour une fois, au moins, je ne serai pas oblig'e de courir aux cinq cents diables pour avoir des informations.
Et Fandor songeait encore :
« Ca doit ^etre assur'ement dans l’un des nombreux h^otels qui entourent mon domicile ; une vengeance de femme, je gage. »
Mais, en sautant de l’autobus, Fandor changeait rapidement d’avis.
— Bigre, on dirait que c’est chez moi.
Devant la porte de la maison o`u il habitait, en effet, un groupe nombreux stationnait, des badauds se pressaient, causaient `a haute voix, 'echangeant des remarques avec un sergent de ville impassible qui s’efforcait, suivant sa propre expression, de « dissiper le rassemblement ».
Fandor fut `a la porte coch`ere en quelques pas, et joua des coudes.
— C’est donc ici que ca se passe ? demandait-il famili`erement au sergent de ville.
Au m^eme instant, le gardien de la paix l’empoignait par le bras :
— O`u allez-vous ?
— Au quatri`eme, ripostait Fandor.
Le sergent de ville le consid'era d’un air soupconneux :
— On ne passe pas, monsieur. Il y a eu un crime, on attend la police, personne ne rentre.
Fandor eut un sourire pour r'epondre :
— Je suis journaliste, d'eclara-t-il.
Mais le sergent de ville ne connaissait que sa consigne :
— Tant pis, j’ai ordre de ne laisser passer personne.
— Laissez-moi finir, interrompit Fandor sans se f^acher, je suis journaliste, et j’habite ici.
Il voulait d'epasser le gardien, l’autre le retenait par le bras :
— Tout ca, c’est des boniments, commencait le gardien de la paix. On les conna^it, vos trucs de journalistes ! Vous ne passerez pas.
Mais, si le gardien pr'etendait reconna^itre les ruses des reporters, il ne connaissait certainement point l’ent^etement de son interlocuteur.
Fandor ne se troubla pas.
— Mon cher monsieur, d'eclarait-il, au grand amusement des badauds qui s’attroupaient de plus en plus, je vous jure que vous m’ennuyez. J’habite ici, je me nomme J'er^ome Fandor, je paie mon terme, je ne dois rien `a l’imp^ot, ma concierge m’adore, quand vous seriez le pr'efet de police, vous ne m’emp^echeriez pas de rentrer chez moi, si j’en ai envie.
J'er^ome Fandor allait alors faire connaissance ou plut^ot refaire connaissance, car il y avait longtemps qu’ils 'etaient de vieux amis, avec l’intransigeance de l’autorit'e, repr'esent'ee par la personne d’un sergent de ville, lorsqu’au bout du couloir, apparaissait la silhouette d’une grosse femme, aux jupons sangl'es, qui levait les bras au ciel, tra^inait une savate `a son pied droit, 'etait chauss'ee d’un soulier au pied gauche et paraissait affol'ee :
— H'e, madame Gertrude, appela Fandor, arrivez donc `a mon secours ! On ne veut pas me laisser rentrer.
La concierge – car c’'etait la concierge – accourait imm'ediatement :
— J'esus, Marie, faisait-elle se pr'ecipitant vers le journaliste, ah, ben, il ne manquait plus que cela, maintenant !
Et, s’adressant au sergent de ville, la concierge d'eclarait :
— C’est le journaliste, c’est celui duquel je vous causais, rapport `a ce qu’il mettrait la chose sur le journal, d’ailleurs, c’est mon locataire et j’en r'eponds, faut qu’on le laisse passer.
La recommandation de la concierge fit naturellement son petit effet, et J'er^ome Fandor put, suivant la grosse femme, p'en'etrer jusqu’`a la loge :
— Alors, quoi ? demandait-il. On assassine dans la maison ? C’est abominable, madame Sarah, je vais donner cong'e.
La concierge qui, depuis de longues ann'ees, 'etait habitu'ee `a ce que J'er^ome Fandor l’appel^at de tous les noms qui lui passaient par la t^ete, joignait les mains d’un air d'esesp'er'e :
— Ah, monsieur Fandor, g'emissait-elle, je vous crois, que c’est abominable, j’en ai les sangs retourn'es `a toutes les minutes. Un homme si digne, si honn^ete, pour qui le d^u 'etait le d^u, et pas regardant avec ca, large aux pourboires, et pas exigeant non plus, presque toujours en voyage. Enfin, contre qui on avait rien `a dire, mais l`a, rien, pas ca…
Elle s’interrompit, pour s’introduire l’ongle du pouce entre les dents de son r^atelier. Fandor en profita pour mettre un terme `a ces lamentations d'esesp'er'ees :
— Voyons, madame Barnab'e, disait-il doucement, conciliant et supr^emement indiff'erent, faut pas vous mettre dans des 'etats pareils, rappelez-vous bien que depuis Adam et `Eve, c’est une coutume invariable, il faut que chacun meure. Aujourd’hui ce bonhomme, moi demain, vous apr`es.
La concierge, de surprise, roulait des yeux terrifi'es :