Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
Шрифт:
— Que c’'etait les gendarmes.
— Bon Dieu, disait le courtier en vins, tu deviens compl`etement folle ! Les gendarmes, ah ca, pourquoi veux-tu que les gendarmes viennent ici ? Et puis, tr^eve de plaisanterie, je te dis que voil`a la lettre.
— Fais voir, tu es certain de ne pas te tromper ?
— Oh certain. Regarde l’en-t^ete.
— Oui, c’est cela et pas de doute. Allons, ouvre vite !
En quelques secondes, la lampe 'etait allum'ee, coiff'ee de son abat-jour, pos'ee sur la table. La salle `a manger avait pris un aspect tranquille, un air d’intimit'e heureuse.
— Dis, tu ne me croirais pas, Alice, dit Fernand, maintenant le courage me manque pour ouvrir cette enveloppe. Je l’ai trop attendue, si jamais ca ne marchait pas, hein, qu’est-ce qu’on ferait ?
Alice Ricard, elle, ne tenait pas en place :
— Attends, disait-elle, je vais fermer la fen^etre. Oh, et puis ma foi, ce n’est pas la peine, je vais seulement tirer les rideaux pour qu’on ne puisse pas nous voir.
Elle 'etait, une seconde apr`es, aux c^ot'es de son mari ; elle s’appuyait `a son 'epaule :
— Ouvre donc, Fernand, ouvre.
La lettre tremblait dans les mains du courtier en vins. Celui-ci, pourtant, faisant effort sur lui-m^eme, triompha de ses h'esitations :
— Bah, le sort en est jet'e, dit-il.
Fernand Ricard 'ecorna l’enveloppe, glissa un doigt `a l’int'erieur de la lettre, la d'ecacheta.
Il jeta seulement les yeux sur le papier d'epli'e, puis, semblant fort joyeux, il empoigna sa femme par les 'epaules, l’embrassa comme un fou :
— Tiens, ca y est ! Ah, que je suis content !
Et comme Alice avait achev'e sa lecture, il reprit avec enthousiasme :
— Tu as vu, hein ? Ca y est. Il nous reste tout juste `a dire : oui, et nous voil`a riches. Vrai, ca ne sera pas vol'e tout de m^eme.
Mais, `a ces mots, Alice Ricard haussait les 'epaules :
— Tu en as du toupet, protestait-elle, ca ne sera pas vol'e dis-tu ? Ah bien, je n’aurais pas trouv'e cela moi. Laisse-moi lire, il faut faire bien attention.
— C’est bien cela, hein ? demanda le courtier.
— C’est tout `a fait cela, dit la jeune femme.
Et d’une voix lente, bien timbr'ee, elle commenca la lecture sans para^itre en 'eprouver la moindre 'emotion.
Monsieur,
Nous avons l’honneur de vous informer que M. Baraban, votre oncle, 'etait assur'e sur la vie `a votre profit pour une somme de cent mille francs. Nous venons d’^etre avis'es par la pr'efecture de police que le d'ec`es de M. Baraban 'etait d'eclar'e. Nous tiendrons `a votre disposition, si vous en manifestez le d'esir, la somme de cent mille francs, montant de l’assurance dont nous vous sommes redevables.
Nous vous prions, toutefois, de nous faire savoir si, 'etant donn'e les circonstances myst'erieuses qui ont entour'e le d'ec`es de M. Baraban, vous acceptez la d'eclaration du d'ec`es promulgu'ee par la pr'efecture de police, ou si, au contraire, vous pr'ef'erez attendre la fin des enqu^etes.
Dans l’espoir de vous lire prochainement,
Recevez, Monsieur, nos salutations les plus empress'ees.
— Les imb'eciles ! Et dire qu’ils nous demandent si nous voulons toucher, dit Alice Ricard.
— Oui, ils sont plut^ot na"ifs. Si nous voulons toucher ? Ah certes oui, ca n’est pas pour rien n’est-ce pas, que nous avons eu tant de mal pour r'eussir notre coup.
Le courtier en vins se promenait de long en large, se frottant les mains, embrassant sa femme de minute en minute.
— Tiens, d'eclara Fernand Ricard, c’est le plus beau jour de ma vie. Nous allons toucher cent mille francs, hein, tu entends ? Cent billets de mille francs. Ose encore soutenir que je ne suis pas un malin ? Que je n’ai pas tout combin'e ? Que tu as des remords ?
— 'Ecoute, ce ne sont pas des remords que j’ai maintenant, c’est…
— C’est quoi ?
— Ce sont des pressentiments.
— Bah, disait-il, des pressentiments de quoi ? Des pressentiments ? Pourquoi ? Ca ne rime `a rien les pressentiments. Je te dis que le plus dur est fait et que tout marchera comme sur des roulettes.
— Oh, tu n’'etais pas si fier tout `a l’heure, en rentrant.
— Moi ? Allons donc.
— Si. Tu m’as dit en d^inant, et je rappelle l`a tes propres paroles :
Alice Ricard regardait son mari bien en face ; le courtier en vins eut un geste ennuy'e, se passa la main sur le front. 'Evidemment, toute sa bonne humeur de l’instant pr'ec'edent disparaissait. Il toussa, marcha plus vite, puis s’arr^etant :
— On boit un verre de champagne ? proposa-t-il. Hein, ca vaut bien cela, il me semble.
Et se forcant `a ^etre gai, il ajouta :
— Car enfin, ce qu’il y a de plus clair en ce moment, dans toutes ces histoires, c’est que l’assurance paye et que si nous le voulons, nous toucherons imm'ediatement les cent mille balles.
Alice Ricard ne r'epondit pas. D'ef'erant au d'esir de son mari, elle avait 'et'e chercher une bouteille de champagne et deux coupes.
Bient^ot le vin mousseux p'etillait dans le cristal. Fernand Ricard but d’un trait, puis recommenca `a se promener de long en large :
— Oui, c’est ennuyeux en effet, dit Fernand.
— C’est tr`es ennuyeux, dit Alice.
Le courtier se laissa tomber sur une chaise, mit ses coudes sur ses genoux, se prit le front `a deux mains.