Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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« Ce qui est ennuyeux, pensait-il, c’est que si Baraban est mort assassin'e, il y a bien des chances pour que cette malheureuse Brigitte et ce petit imb'ecile de Th'eodore Gauvin soient r'eellement les assassins, et Havard alors a raison, sa th`ese est fond'ee. »
Et cela vexait d’autant plus Fandor qu’il n’avait pas, pour M. Havard, une admiration profonde et que cela l’ennuyait de le voir triompher, et triompher contre Juve, et enfin, la culpabilit'e de Brigitte aurait 'evidemment pour premi`ere cons'equence de cr'eer de graves ennuis `a son ami Jacques Faramont.
Fandor finit par se coucher :
« T^achons de faire notre Ponce Pilate, grommelait-il, moi, je m’en lave les mains, apr`es tout.
Il ferma les yeux et s’endormit d’un sommeil de plomb.
***
Fandor dormit cette nuit-l`a avec tant de conviction, il 'etait si fatigu'e qu’il perdit compl`etement la notion de l’heure. En ouvrant les yeux, en regardant sa montre, le lendemain, il poussait un juron formidable.
— Deux heures de l’apr`es-midi, bon sang, mais je suis fou !
Saut'e `a bas de son lit, il lui fallut tout juste une demi-heure pour faire sa toilette, s’habiller, ^etre pr^et `a sortir.
Sur le seuil de sa porte, J'er^ome Fandor h'esita cependant.
— Et mon d'ejeuner, murmura-t-il.
Il eut un vague sourire, puis ferma sa serrure.
— Bah, je d^inerai mieux, voil`a tout.
***
Vingt minutes plus tard, il carillonnait chez le policier, et Jean le vieux domestique l’introduisait aupr`es de lui.
— Tiens, s’'ecriait alors Fandor, on dirait que vous n’avez pas 'et'e plus matinal que moi.
L’exclamation 'etait justifi'ee, car Juve paraissait sortir du lit. Il 'etait en calecon, venait tout juste de mettre son faux col et s’occupait `a lacer ses bottines.
Juve pourtant protesta :
— Fandor, tu parles `a la l'eg`ere, je me suis lev'e avec le jour.
— Mensonge, r'etorqua le journaliste, c’est moi qui me suis couch'e avec…
Il 'eclata de rire, puis interrogea :
— Alors vrai, Juve, vous ne sortez pas de vos toiles ?
— J’'etais dehors `a dix heures, ripostait le policier.
— Fichtre, pour aller o`u ca ?
— Pour courir apr`es Baraban.
Fandor m^achonnait une cigarette. Il tapa du pied en soufflant rageusement une bouff'ee de fum'ee.
— Dieu, que vous ^etes assommant Juve ! Puisqu’on vous dit qu’il est mort !
— Puisque je te dis qu’il est avec une femme en train de faire la bombe.
— Et alors Juve, vous l’avez rencontr'e, Baraban ?
— Non, avoua le policier en passant son pantalon. Pas de nouveau, mais j’en aurai peut-^etre ce soir.
— O`u allez-vous donc ?
— Au Palais de Justice. Je suis m^eme en retard. On va confronter le jeune Th'eodore et Brigitte. Peut-^etre saura-t-on quelque chose.
— Oui, ce sera peut-^etre int'eressant.
Puis, apr`es avoir allum'e une autre cigarette et tendu son 'etui `a Juve, Fandor ajouta :
— S'erieusement, ce matin, vous n’avez rien appris ?
— Peu de chose. Un indicateur est venu dire `a Havard que Baraban faisait souvent la noce `a Montmartre.
Juve disait cela d’un petit ton tranquille, mais, en m^eme temps ses yeux p'etillaient.
Fandor, pour toute r'eponse, commenca par faire la moue :
— Et alors ? interrogeait-il.
Juve d’abord, ne r'epondait pas. Il 'etait occup'e `a fixer son bouton de faux col qui se refusait `a entrer dans la boutonni`ere :
— Maudit bouton, grommela le policier. Ah ca, tu ne pourrais pas m’aider, Fandor ?
Fandor se leva, aida Juve, puis questionna :
— Naturellement, monsieur Juve estime que la fugue est d’autant plus probable que Baraban allait `a Montmartre ?
— Naturellement.
Fandor alors portait les deux mains `a son front :
— Bon Dieu, d'eclara-t-il, ce que vous ^etes obstin'e ! Vrai, votre t^ete, c’est encore pire que le cr^ane d’un Breton, on pourrait s’en servir pour casser les cailloux.
Juve cependant sifflotait en brossant son chapeau.
— Rira bien qui rira le dernier, dit-il simplement.
Et, s’interrompant pour jeter un coup d’oeil `a sa montre :
— Sapristi, je vais ^etre en retard ! Aide-moi donc, au lieu de fl^aner.
Fandor connaissait assez les habitudes de Juve pour n’avoir pas besoin d’autres indications.
Quelques secondes plus tard, il avait aid'e le policier `a finir de s’appr^eter, c’est-`a-dire lui avait jet'e `a la vol'ee un mouchoir propre, son porte-monnaie, ses gants, ses cl'es.
— L`a, d'eclara-t-il, foutez le camp ! Juve, vous ^etes beau comme un astre.
Juve se d'ep^echait, d'egringolait l’escalier devant Fandor :
— Tu viens avec moi au Palais ?
— Non. Pas maintenant.
De surprise, Juve s’arr^eta :
— Ah ca, tu as une id'ee derri`ere la t^ete alors ? Si tu ne viens pas, c’est que tu penses `a une d'emarche.
— Non, riposta Fandor, c’est tout simplement que je me sens l’^ame po'etique et je vais aller aux Tuileries 'ecouter la musique et donner du pain aux moineaux.
Les deux hommes 'etaient `a ce moment au coin de la rue Tardieu. Ils 'echang`erent une poign'ee de main.