Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Juve vit tout cela en un clin d’oeil, mais surtout, il vit le visage, la face bouffie, les l`evres glabres d'ecouvrant une bouche 'edent'ee, l’oeil droit qui louchait, le front tout marqu'e de taches de petite v'erole.
Alors Juve se leva et cordialement tendit la main au personnage :
— Comment ? C’est vous, 'Emile ? Par quel hasard ?
— Ca n’est pas un effet du hasard, r'epondit l’individu d’une voix faubourienne, ignoblement canaille. V’l`a deux jours, bien compt'es, que je me trotte apr`es vous, monsieur Juve et des fois, sauf votre respect, faudra que vous me donniez un peu de p`eze parce que j’ai fait des d'epenses.
— Mais que me voulez-vous, mon bon ?
— Moi, rien ; c’est vous qui allez me vouloir quelque chose.
— Tenez, asseyez-vous, 'Emile. Nous avons `a causer `a ce qu’il para^it ?
— Oui, monsieur Juve.
— Eh bien, parlez.
L’individu tira de sa poche un mouchoir jaune dont il se servit pour 'eponger son front.
— Il fait rien chaud `a cette heure, d'eclara-t-il.
Juve abonda dans ce sens :
— En effet, vous avez raison. Il fait tr`es chaud.
Mais, `a ce moment, le policier sourit finement. En fait, il br^ulait d’impatience `a l’id'ee de ce que l’homme allait lui raconter, il affectait pourtant de n’^etre point press'e, sachant fort bien qu’avec des amis de l’esp`ece de cet 'Emile il ne fallait pas avoir l’air d’attacher trop d’importance `a leur r'ecit. 'Emile tomba d’ailleurs dans le pi`ege que Juve lui tendait :
— Ah ! bien tout de m^eme, dit-il, j’aurais cru, monsieur Juve, que ma venue vous aurait plus 'epastrouill'e que cela. L’autre jour, au Nocturn-H^otel, vous sembliez pourtant bien allum'e.
Juve sourit. Quel 'etait donc l’individu qu’il avait devant lui ? C’'etait tout simplement le garcon d’h^otel, vaguement indicateur de la police, que le policier avait eu la bonne fortune de rencontrer au Nocturn-H^otellorsqu’il s’y 'etait rendu sur les indications du chasseur du Crocodile.
— 'Emile, reprit Juve, je vous 'ecoute.
— Eh bien, v’l`a ce qui est de la chose.
'Emile se gratta le front, fit tourner au bout de son doigt son chapeau melon, puis enfin se d'ecida `a parler :
— Pour lors, des fois, l’autre jour, quand c’est que vous ^etes venu `a mon garni, m’sieur Juve, vous m’avez dit :
— Oui, riposta Juve, j’ai m^eme ajout'e, 'Emile, que si vous pouviez me donner un renseignement me permettant de retrouver la femme qui vient au Nocturn-H^otelen compagnie de ce bonhomme, je vous paierais tr`es g'en'ereusement cette indication.
'Emile, `a ces mots, fit claquer ses doigts.
— Ca, remarquait-il, on peut pas dire, vous ^etes un chic type. Vous ne revenez jamais sur ce que vous jaspinez. Eh bien, le renseignement, le v’l`a : je vous apporte la photo du Baraban et de la jeunesse qui l’accompagne.
`A ce moment, Juve pensa crier de stup'efaction.
'Emile venait, en effet, de tirer de sa poche un portefeuille crasseux, il y avait pris une photographie. Le policier tendit la main pour la prendre :
— Attention, minute, des fois, m’sieur Juve, vous me garantissez au moins que si je vous donne ce papier, y aura pas de casse pour moi ?
— Comment avez-vous cette photographie ?
— J’ai l’habitude, m’sieur Juve, chaque fois que je peux, de photographier discr`etement les gens de la haute qui viennent avec des poules passer une heure de bon temps dans la maison.
— Bien, je comprends. 'Emile, donnez-moi cette photographie.
Il tendit la main. 'Emile insista :
— Pas de casse pour moi, hein ?
— Non, rien `a craindre.
Le document passa de la main du garcon d’h^otel dans celle du policier.
— Voil`a la chose, il me faudrait vingt francs.
Mais, certes, `a cet instant, Juve n’avait nulle envie d’'economiser sur le prix que pouvait demander l’individu.
Juve n’en croyait pas ses yeux. La femme dont il avait la photographie sous les yeux, la femme qui s’appuyait au bras de l’oncle Baraban, la femme qui avait accompagn'e l’oncle Baraban au Nocturn-H^otel, qui faisait la noce avec lui, qui 'etait sa ma^itresse, cette femme-l`a, Juve la reconnaissait parfaitement, c’'etait Alice Ricard, c’'etait l’'epouse de Fernand Ricard.
***
Il 'etait quatre heures lorsque Juve arrivait `a Vernon, devant la petite maison des Ricard, en compagnie de Fandor, qu’il avait 'et'e chercher. Juve n’avait rien confi'e `a Fandor de l’extraordinaire d'ecouverte qu’il venait de faire, il lui avait tout simplement dit :
— Viens avec moi, je dois aller interroger Alice Ricard. Tu entendras des choses int'eressantes.
Fandor, depuis cette d'eclaration, ne tenait naturellement pas en place.
— Ah ca, demandait-il encore au moment o`u Juve et lui p'en'etraient dans le jardin de la villa, ah ca, Juve, qu’est-ce que vous avez appris ? Vous voil`a d’une humeur charmante. C’est signe, `a coup s^ur, que vous avez d'ecouvert quelque chose qui confirme l’hypoth`ese de la fugue ?
— Attends, tu vas voir !
L’un et l’autre se trouvaient, quelques instants plus tard, en pr'esence de la femme du courtier.
Juve s’inclinait c'er'emonieusement devant elle et, tout d’abord, s’informait.
— Votre mari n’est pas l`a, madame ?
— Non, monsieur, r'epondait Alice, qui avait fr'emi en reconnaissant le policier, et qui, mal remise encore des 'emotions de la nuit pr'ec'edente, se demandait si la visite de Juve n’avait pas quelque myst'erieux rapport avec la venue de l’homme noir.