Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Que voulez-vous ? demanda le courtier haletant.
— Causer avec vous… Voyons, maintenant que nous avons 'echang'e les paroles indispensables et que je me suis excus'e du trouble o`u ma visite vous met, nous pouvons aborder les affaires s'erieuses.
Il allait continuer `a parler, mais Alice Ricard l’interrompit.
— De gr^ace, r^alait la jeune femme, dites-nous qui vous ^etes, ce que vous voulez ?
— Tais-toi ! dit Fernand Ricard.
Et le courtier, retrouvant un peu d’audace, ajouta :
— Nous saurons bien, un jour, nous venger de l’impudence avec laquelle…
Lui aussi fut interrompu :
— Ah pas de mots inutiles, je vous en prie, lui dit le visiteur myst'erieux. Ne m’insultez pas. Cela m’obligerait `a me venger de vous et vous n’y gagneriez rien, assur'ement.
— Parlez, g'emit le courtier en vins, que voulez-vous encore ?
— Mon cher monsieur, reprit alors l’inconnu, je viens tout d’abord vous apporter une bonne nouvelle. Ce malheureux Baraban, si tragiquement disparu, poss'edait, n’est-il pas vrai, un billet de loterie, de la loterie de l’orphelinat des enfants d’officiers minist'eriels ?
— Eh bien ? interrogea Fernand Ricard.
— Eh bien, j’ai le plaisir de vous informer que ce billet a gagn'e au tirage qui a 'et'e fait hier soir `a la Chambre des notaires, le gros lot de deux cent mille francs.
Fernand Ricard, `a ces mots, sursauta comme secou'e par une 'etincelle 'electrique :
— Vous dites ?
— Je dis que le billet poss'ed'e par votre oncle Baraban, billet qui fait partie des valeurs de sa succession, et dont vous h'eritez par cons'equent, a gagn'e un gros lot de deux cent mille francs.
Fernand Ricard ne r'epondit rien. Quant `a Alice Ricard elle tremblait, ne disait mot. Il semblait qu’elle f^ut priv'ee de sentiment, on e^ut pu la croire 'evanouie, sans la flamme qui brillait au fond de ses prunelles.
— Si j’analyse les faits, continuait l’homme, de sa m^eme voix tranquille, je puis donc dire, monsieur Ricard, que votre oncle 'etant mort, ce n’est pas lui, en somme, qui a gagn'e ces deux cent mille francs, c’est vous.
Il fit une pause, puis il ajouta, changeant encore une fois de ton, devenu autoritaire, brusque, terrible :
— Fernand Ricard, je veux la moiti'e de ce gros lot, cent mille francs pour vous, cent mille francs pour moi. Je veux aussi la moiti'e de l’h'eritage de votre oncle.
Et, avant que le courtier e^ut eu le temps de r'epondre, l’homme ajoutait :
— Vous allez imm'ediatement me signer une reconnaissance de dette.
— Jamais, cria Fernand Ricard. Vous ^etes fou, vous n’aurez rien, rien ! D’abord qui ^etes-vous ?
— Fernand Ricard, je suis le Ma^itre, le Ma^itre de tous et de tout, je suis celui que rien n’arr^ete, celui qui commande `a ceux qui commandent, voil`a. Vous n’avez pas besoin d’autres renseignements. Une fois d'ej`a, monsieur Ricard, je me suis permis de venir vous trouver. Vous m’avez menac'e et vous avez refus'e de m’'ecouter. Fort bien. Vous verrez demain matin ce qu’il en co^ute de vouloir me r'esister. Toutefois, rien n’est encore perdu pour vous, je puis vous sauver et c’est pourquoi je vous propose une transaction : moiti'e, moiti'e. Si, au contraire, vous refusez de partager avec moi l’h'eritage que vous convoitez, je vous donne ma parole que vous n’en aurez pas un sou. Je saurai m’arranger pour prendre tout et pour vous mettre dans une telle situation, que vous serez `a ma merci. R'epondez, maintenant. Acceptez-vous de partager ? Est-ce oui ? Est-ce non ?
Fernand Ricard r'epondit d’une voix d'ecid'ee :
— C’est non.
`A ce moment, un 'eclat de rire infernal retentissait dans la chambre close. Brusquement, la lumi`ere s’'eteignit. Puis, l’air manqua, ils crurent 'etouffer.
Lorsque Fernand Ricard et sa femme reprirent connaissance, lorsqu’ils revinrent `a eux, leur petite bonne venait d’entrer dans leur chambre, elle annoncait tranquillement :
— Voici le d'ejeuner, monsieur et madame. Il est sept heures du matin, il faut que monsieur se l`eve. Monsieur a une longue tourn'ee aujourd’hui.
Fernand Ricard et sa femme h'esit`erent alors. Ils ne savaient plus s’ils avaient r^ev'e ou non.
***
Ce m^eme jour, `a deux heures de l’apr`es-midi, Juve 'ecoutait avec une extr^eme attention son vieux et fid`ele serviteur Jean.
Il 'etait dans son cabinet de travail, le valet de chambre lui annoncait un visiteur.
— Monsieur, expliquait le brave homme, c’est certainement quelqu’un d’int'eressant, il est mal v^etu, il louche, il pue le tabac `a plein nez et il a l’air extraordinairement intelligent.
Juve, `a cette description, 'eclatait de rire :
— Ah ca, mon vieux Jean, disait-il, qu’est-ce que tu me chantes ? Tu fais de mon visiteur une description aussi peu flatteuse que possible, et tu conclus cependant que le bonhomme vaut d’^etre recu ? Bien s^ur, tu as une id'ee derri`ere la t^ete.
— Monsieur m’excusera, mais monsieur se trompe, seulement monsieur sait que d’habitude je ne me trompe point.
— En effet, reconnut Juve.
Le vieux Jean avait, c’'etait l’exacte v'erit'e, un flair tout sp'ecial pour reconna^itre de loin la qualit'e des individus qui sonnaient `a la porte de Juve.
Il 'ecartait impitoyablement les visites f^acheuses, les importuns. Il 'etait rare, au contraire, qu’il ne f^it pas bon accueil aux personnages int'eressants.
— Donc, reprenait le policier, tu me conseilles de recevoir ce bonhomme ?
— Je ne me permettrai pas de donner un conseil `a monsieur, mais il me semble…
— C’est bon, fais entrer !
R'esign'e `a perdre quelques instants. Juve referma le dossier qu’il 'etudiait et attendit le personnage que le vieux Jean introduisit quelques instants apr`es.
Le domestique avait fait un fid`ele portrait de cet individu. Son ^age 'etait difficile `a deviner, car il semblait `a la fois tr`es vieux et tr`es jeune, il devait en r'ealit'e avoir une trentaine d’ann'ees, mais les vices et la mis`ere l’avaient sans doute profond'ement fl'etri.
L’individu tenait `a la main un chapeau melon d’une nuance grise, orn'e de nombreuses taches de graisse. Il portait un paletot jaune auquel il manquait plusieurs boutons, son pantalon 'etait gris, ses bottines 'etaient d’un cuir travaill'e, bordure jaune, tige blanche, il tenait enfin `a la main une canne dont la b'equille 'etait certainement faite d’un cuivre d'edor'e.