Том 3. Публицистические произведения
Шрифт:
Et ici il ne s’agit pas de ce d'esaccord, de cette divergence d’opinions politiques ou autres qui se rencontrent dans tous les pays o`u la soci'et'e par la fatalit'e des circonstances se trouve livr'ee au gouvernement des partis. II s’agit d’un fait bien autrement grave; il s’agit d’un antagonisme permanent, essentiel et `a tout jamais insoluble, qui depuis soixante ans constitue, pour ainsi dire, le fond m^eme de la conscience nationale en France. C’est l’^ame de la France qui est divis'ee.
La R'evolution, depuis qu’elle s’est empar'ee de ce pays, a bien pu le bouleverser, le modifier, l’alt'erer profond'ement, mais elle n’a pu, ni ne pourra jamais se l’assimiler enti`erement. Elle aura beau faire, il y a des 'el'ements, des principes dans la vie morale de la France qui r'esisteront toujours — ou du moins aussi longtemps qu’il y aura une France au monde; tels sont: l’Eglise catholique avec ses croyances et son enseignement; le mariage chr'etien et la famille, et m^eme la propri'et'e. D’autre part, comme il est `a pr'evoir que la R'evolution, qui est entr'ee non-seulement dans le sang, mais dans l’^ame m^eme de cette soci'et'e, ne se d'ecidera jamais `a l^acher prise volontairement, et comme dans l’histoire du monde nous ne connaissons pas une formule d’exorcisme applicable `a une nation tout enti`ere, il est fort `a craindre que l’'etat de lutte, mais d’une lutte intime et incessante, de scission permanente et pour ainsi dire organique, ne soit devenu pour bien longtemps la condition normale de la nouvelle soci'et'e francaise.
Et voil`a pourquoi dans ce pays, o`u nous voyons depuis soixante ans se r'ealiser cette combinaison d’un Etat r'evolutionnaire par principe tra^inant `a la remorque une soci'et'e qui n’est que r'evolutionn'ee, le gouvernement, le pouvoir qui tient n'ecessairement des deux sans parvenir `a les concilier, s’y trouve fatalement condamn'e `a une position fausse, pr'ecaire, entour'ee de p'erils et frapp'ee d’impuissance. Aussi avons-nous vu que depuis cette 'epoque tous les gouvernements en France — moins un, celui de la Convention pendant la Terreur, — quelque f^ut la diversit'e de leur origine, de leurs doctrines et de leurs tendances, ont eu ceci en commun: c’est que tous, sans excepter m^eme celui du lendemain de F'evrier, ils ont subi la R'evolution bien plus qu’ils ne l’ont repr'esent'ee. Et il n’en pouvait ^etre autrement. Car ce n’est qu’`a la condition de lutter contre elle, tout en la subissant, qu’ils ont pu vivre. Mais il est vrai de dire que, jusqu’`a pr'esent du moins, ils ont tous p'eri `a la t^ache.
Comment donc un pouvoir ainsi fait, aussi peu s^ur de son droit, d’une nature aussi ind'ecise, aurait-il eu quelque chance de succ`es en intervenant dans une question comme l’est cette question romaine? En se pr'esentant comme m'ediateur ou comme arbitre entre la R'evolution et le Pape, il ne pouvait gu`ere esp'erer de concilier ce qui est inconciliable par nature. Et d’autre part il ne pouvait donner gain de cause `a l’une des parties adverses sans se blesser lui-m^eme, sans renier pour ainsi dire une moiti'e de lui-m^eme. Ce qu’il pouvait donc obtenir par cette intervention `a double tranchant, quelque 'emouss'e qu’il f^ut, c’'etait d’embrouiller encore davantage ce qui d'ej`a 'etait inextricable, d’envenimer la plaie en l’irritant. C’est `a quoi il a parfaitement r'eussi.
Maintenant quelle est au vrai la situation du Pape `a l’'egard de ses sujets? Et quel est le sort probable r'eserv'e aux nouvelles institutions qu’il vient de leur accorder? — Ici malheureusement les plus tristes pr'evisions sont seules de droit. C’est le doute qui ne l’est pas.
La situation, — c’est l’ancien 'etat des choses, celui ant'erieur au r`egne actuel, celui qui d`es lors croulait d'ej`a sous le poids de son impossibilit'e, mais d'emesur'ement aggrav'e par tout ce qui est arriv'e depuis. Au moral, par d’immenses d'eceptions et d’immenses trahisons; au mat'eriel, par toutes les ruines accumul'ees.
On conna^it ce cercle vicieux o`u depuis quarante ans nous avons vu rouler et se d'ebattre tant de peuples et tant de gouvernements. Des gouvern'es n’acceptant les concessions que leur faisait le pouvoir, que comme un faible acompte pay'e `a contrecoeur par un d'ebiteur de mauvaise foi. Des gouvernements qui ne voyaient dans les demandes qu’on leur adressait que les emb^uches d’un ennemi hypocrite. Eh bien, cette situation, cette r'eciprocit'e de mauvais sentiments, d'etestable et d'emoralisante partout et toujours, est encore grandement envenim'ee ici par le caract`ere particuli`erement sacr'e du pouvoir et par la nature tout exceptionnelle de ses rapports avec ses sujets. Car, encore une fois, dans la situation donn'ee et sur la pente o`u l’on se trouve plac'e, non seulement par la passion des hommes, mais par la force m^eme des choses, — toute concession, toute r'eforme, pour peu qu’elle soit sinc`ere et s'erieuse, pousse infailliblement l’Etat romain vers une s'ecularisation compl`ete. La s'ecularisation, nul n’en doute, est le dernier mot de la situation. Et cependant le Pape, sans droit pour l’accorder m^eme dans les temps ordinaires, puisque la souverainet'e temporelle n’est pas son bien, mais celui de l’Eglise de Rome, — pourrait bien moins encore y consentir maintenant qu’il a la certitude que cette s'ecularisation, lors m^eme qu’elle serait accord'ee `a des n'ecessit'es r'eelles, tournerait en d'efinitive au profit des ennemis jur'es, non pas de son pouvoir seulement, mais de l’Eglise elle-m^eme. Y consentir, ce serait se rendre coupable d’apostasie et de trahison tout `a la fois. Voici pour le Pouvoir. Pour ce qui est des sujets, il est clair que cette antipathie inv'et'er'ee contre la domination des pr^etres, qui constitue tout l’esprit public de la population romaine, n’aura pas diminu'e par suite des derniers 'ev'enements.
Et si d’une part une semblable disposition des esprits suffit `a elle seule pour faire avorter les r'eformes les plus g'en'ereuses et les plus loyales, d’autre part l’insucc`es de ces r'eformes ne peut qu’ajouter infiniment `a l’irritation g'en'erale, confirmer l’opinion dans sa haine pour l’autorit'e r'etablie et — recruter pour l’ennemi.
Voil`a certes une situation parfaitement d'eplorable et qui a tous les caract`eres d’un ch^atiment providentiel. Car pour un pr^etre chr'etien quel plus grand malheur peut-on imaginer que celui de se voir ainsi fatalement investi d’un pouvoir qu’il ne peut exercer qu’au d'etriment des ^ames et pour la ruine de la Religion!.. Non, en v'erit'e, cette situation est trop violente, trop contre nature pour pouvoir se prolonger. Ch^atiment ou 'epreuve, il est impossible que la Papaut'e romaine reste longtemps encore enferm'ee dans ce cercle de feu sans que Dieu dans Sa mis'ericorde lui vienne en aide et lui ouvre une voie, une issue merveilleuse, 'eclatante, inattendue — ou, disons mieux, attendue depuis des si`ecles.
Peut-^etre en est-elle s'epar'ee encore, elle — la Papaut'e — et l’Eglise soumise `a ses lois, par bien des tribulations et bien des d'esastres; peut-^etre n’est-elle encore qu’`a l’entr'ee de ces temps calamiteux. Car ce ne sera pas une petite flamme, ce ne sera pas un incendie de quelques heures que celui qui, en d'evorant et r'eduisant en cendres des si`ecles entiers de pr'eoccupations mondaines et d’inimiti'es anti-chr'etiennes, fera enfin crouler devant elle cette fatale barri`ere qui lui cachait l’issue d'esir'ee.
Et comment `a la vue de ce qui se passe, en pr'esence de cette organisation nouvelle du principe du mal, la plus savante et la plus formidable que les hommes aient jamais vue, — en pr'esence de ce monde du mal tout constitu'e et tout arm'e, avec son 'eglise d’irr'eligion et son gouvernement de r'evolte, — comment, disons-nous, serait-il interdit aux chr'etiens d’esp'erer que Dieu daignera proportionner les forces de Son Eglise `a Lui, `a la nouvelle t^ache qu’Il lui assigne? — Qu’`a la veille des combats qui se pr'eparent Il daignera lui restituer la pl'enitude de ses forces, et qu’`a cet effet Lui-m^eme, `a son heure, viendra, de Sa main mis'ericordieuse, gu'erir au flanc de Son Eglise la plaie que la main des hommes y a faite — cette plaie ouverte qui saigne depuis huit cents ans!..
L’Eglise Orthodoxe n’a jamais d'esesp'er'e de cette gu'erison. Elle l’attend — elle y compte — non pas avec confiance, mais avec certitude. Comment ce qui est Un par principe, ce qui est Un dans l’Eternit'e, ne triompherait-il pas de la d'esunion dans le temps? En d'epit de la s'eparation de plusieurs si`ecles et `a travers toutes les pr'eventions humaines elle n’a cess'e de reconna^itre que le principe chr'etien n’a jamais p'eri dans l’Eglise de Rome; qu’il a toujours 'et'e plus fort en elle que l’erreur et la passion des hommes, et voil`a pourquoi elle a la conviction intime qu’il sera plus fort que tous ses ennemis. Elle sait, de plus, qu’`a l’heure qu’il est, comme depuis des si`ecles, les destin'ees chr'etiennes de l’Occident sont toujours encore entre les mains de l’Eglise de