Том 3. Публицистические произведения
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Mais cette Providence historique qui est au fond des choses humaines y a heureusement pourvu. D'ej`a au treizi`eme si`ecle l’Empire d’Orient, tout mutil'e, tout 'enerv'e qu’il 'etait, a trouv'e en lui-m^eme assez de vie pour rejeter de son sein la domination latine apr`es soixante et quelques ann'ees d’une existence contest'ee; et certes il faut convenir que depuis lors le v'eritable Empire d’Orient, l’Empire orthodoxe, s’est grandement relev'e de sa d'ech'eance.
C’est ici une question sur laquelle la science occidentale malgr'e ses pr'etentions `a l’infaillibilit'e a toujours 'et'e en d'efaut. L’Empire d’Orient est constamment rest'e une 'enigme pour elle; elle a bien pu le calomnier, elle ne l’a jamais compris. Elle a trait'e l’Empire d’Orient comme Monsieur de Custine vient de traiter la Russie, apr`es l’avoir 'etudi'e `a travers sa haine doubl'ee de son ignorance. On n’a su jusqu’`a pr'esent se rendre un compte vrai ni du principe de vie qui a assur'e `a l’Empire d’Orient ses mille ans d’existence, ni de la circonstance fatale qui a fait que cette vie si tenace a toujours 'et'e contest'ee et `a quelques 'egards si d'ebile.
Ici, pour rendre ma pens'ee avec une pr'ecision suffisante, je devrais entrer dans des d'eveloppements historiques que ne comportent point les bornes de cette notice. Mais telle est l’analogie r'eelle, telle est l’affinit'e intime et profonde qui rattache la Russie `a ce glorieux ant'ec'edent de l’Empire d’Orient, qu’`a d'efaut d’'etudes historiques assez approfondies il suffit `a chacun de nous de consulter ses impressions les plus habituelles et pour ainsi dire les plus 'el'ementaires, pour comprendre d’instinct ce que c’'etait que ce principe de vie, cette ^ame puissante qui pendant mille ans a fait vivre et durer ce corps si fr^ele de l’Empire d’Orient. Cette ^ame, ce principe, c’'etait le Christianisme, c’'etait l’'el'ement Chr'etien tel que l’avait formul'e l’Eglise d’Orient, combin'e ou pour mieux dire identifi'e non seulement avec l’'el'ement national de l’'etat, mais encore avec la vie intime de la soci'et'e. Des combinaisons analogues ont 'et'e tent'ees, ont 'et'e accomplies ailleurs, mais elles n’ont eu nulle part ce caract`ere profond et original. Ici, ce n’'etait pas simplement une Eglise se faisant nationale dans l’acception ordinaire du mot comme cela s’est vu ailleurs, c’'etait l’Eglise se faisant la forme essentielle, l’expression supr^eme d’une nationalit'e d'etermin'ee, de la nationalit'e de toute une race, de tout un monde. Voil`a aussi, soit dit en passant, comment il a pu se faire que plus tard cette m^eme Eglise d’Orient est devenue comme le synonyme de la Russie, l’autre nom, le nom sacr'e de l’Empire, triomphante partout o`u elle r`egne, militante partout o`u la Russie n’a pas encore fait pleinement reconna^itre sa domination. En un mot si intimement associ'ee `a ses destin'ees qu’il est vrai de dire qu’`a des degr'es divers il y a de la Russie partout o`u se rencontre l’Eglise orthodoxe.
Quant `a l’ancien, `a ce premier Empire d’Orient, la circonstance fatale qui a pes'e sur ses destin'ees, c’est qu’il n’a jamais pu mettre en oeuvre qu’une portion minime de la race sur laquelle il aurait d^u principalement s’appuyer. Il n’a occup'e que la lisi`ere du monde que la Providence tenait en r'eserve pour lui; c’est le corps cette fois qui a manqu'e `a l’^ame. Voil`a pourquoi cet Empire, malgr'e la grandeur de son principe, est constamment rest'e `a l’'etat de l’'ebauche, pourquoi il n’a pu opposer `a la longue une r'esistance efficace aux ennemis qui l’enveloppaient de toutes parts. Son assiette territoriale a toujours manqu'e de base et de profondeur, c’'etait, pour tout dire, une t^ete s'epar'ee de son tronc. Aussi, par une de ces combinaisons Providentielles qui sont en m^eme temps profond'ement naturelles et historiques, c’est le lendemain du jour o`u l’Empire d’Orient a paru d'efinitivement succomber sous les coups de la destin'ee qu’il a en r'ealit'e pris possession de son existence d'efinitive. Constantinople tombait aux mains des Turcs en 1453 et neuf ans apr`es, en 1462, le grand Ivan III arrivait au tr^one de Moscou.
Qu’on ne s’'effarouche pas de gr^ace de toutes ces g'en'eralit'es historiques quelqu’hasard'ees qu’elles puissent para^itre `a la premi`ere vue. Qu’on se dise bien que ces pr'etendues abstractions, c’est nous-m^eme, c’est notre pass'e, notre pr'esent, notre avenir. Nos ennemis le savent bien, t^achons de le savoir comme eux. C’est parce qu’ils le savent, c’est parce qu’ils ont compris que tous ces pays, toutes ces populations qu’ils voudraient conqu'erir au syst`eme occidental, tiennent `a la Russie historiquement parlant comme des membres vivants tiennent au corps dont ils font partie, qu’ils travaillent `a rel^acher, `a rompre s’il est possible, le lien organique qui les rattache `a nous.
Ils ont compris que tant que ce lien subsiste, tous leurs efforts pour 'eteindre dans ces populations la vie qui leur est propre resteraient 'eternellement st'eriles. Encore une fois le b^ut qu’on se propose est le m^eme qu’au treizi`eme si`ecle, mais les moyens diff'erents. A cette 'epoque l’Eglise latine voulait brutalement se substituer dans tout l’Orient Chr'etien `a l’Eglise orthodoxe; maintenant on cherchera `a ruiner les fondements de cette Eglise par la pr'edication philosophique.
Au treizi`eme si`ecle la domination de l’Occident pr'etendait s’approprier ces pays directement et les gouverner en son propre nom; maintenant faute de mieux on cherchera `a y provoquer, `a y favoriser l’'etablissement de petites nationalit'es b^atardes, de petites existences politiques, soi-disant ind'ependantes, vains simulacres bien mensongers, bien hypocrites, bons, tout au plus, `a masquer la r'ealit'e, et cette r'ealit'e ce serait maintenant comme alors: la domination de l’Occident.
Ce qui vient d’^etre tent'e en Gr`ece est une grande r'ev'elation et devrait servir d’enseignement `a tout le monde. Il est vrai que jusqu’`a pr'esent la tentative ne para^it gu`ere avoir profit'e `a ceux qui en ont 'et'e les instigateurs. L’arme a r'epercut'e contre la main qui s’en est servie. Et cette r'evolution qui apr`es avoir annul'e un pouvoir d’origine 'etrang`ere para^it avoir restitu'e l’initiative `a des influences plus nationales, pourrait fort bien en d'efinitive aboutir `a resserrer le lien qui rattache ce petit pays au grand tout, dont il n’est qu’une fraction.
Il faut se dire d’ailleurs que tout ce qui se passe ou se passerait en Gr`ece ne sera jamais qu’un 'episode, un d'etail de la grande lutte entre l’Occident et nous. Ce n’est pas l`a-bas, aux extr'emit'es que l’immense question sera d'ecid'ee. C’est ici, parmi nous, au centre, au coeur m^eme de ce monde de l’Orient Chr'etien, de l’Orient Europ'een que nous repr'esentons, de ce monde qui est nous-m^eme. Ses destin'ees d'efinitives qui sont aussi les n^otres, ne d'ependent que de nous; elles d'ependent avant tout du sentiment plus ou moins 'energique qui nous lie, qui nous identifie l’un `a l’autre.
R'ep'etons-le donc et ne nous lassons pas de le redire: l’Eglise d’Orient est l’Empire orthodoxe, l’Eglise d’Orient h'eriti`ere l'egitime de l’Eglise universelle, l’Empire orthodoxe identique dans son principe, 'etroitement solidaire dans toutes ses parties. Est-ce l`a ce que nous sommes? ce que nous voulons ^etre? Est-ce l`a ce que l’on pr'etend nous contester?
Voil`a, pour qui sait voir, toute la question entre nous et la propagande occidentale; c’est le fond m^eme du d'ebat. Tout ce qui n’est pas cela, tout ce qui dans la pol'emique de la presse 'etrang`ere ne se rattache pas `a cette grande question plus ou moins directement comme une cons'equence `a son principe, ne m'erite pas un instant d’occuper notre attention. C’est de la d'eclamation pure.
Pour nous, nous ne saurions nous p'en'etrer assez intimement de ce double principe historique de notre existence nationale. C’est le seul moyen de tenir t^ete `a l’esprit de l’Occident, de mettre un frein `a ses pr'etentions comme `a ses hostilit'es.
Jusqu’`a pr'esent, avouons-le, dans les rares occasions o`u nous avons pris la parole pour nous d'efendre contre ses attaques, nous l’avons fait, `a une ou deux exceptions pr`es, d’une mani`ere trop peu digne de nous. Nous avions trop l’air d’'ecoliers cherchant par de gauches apologies `a d'esarmer la mauvaise humeur de leur ma^itre.