Том 7. О развитии революционных идей в России
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Il n'est pas facile `a l'Europe, disions-nous aux Slavophiles, de se d'efaire de son pass'e; elle le conserve contrairement `a ses int'er^ets, parce qu'elle sait `a quel prix on ach`ete les r'evolutions, et parce qu'il y a beaucoup de choses, dans son 'etat actuel, qui lui sont ch`eres et qui sont difficiles `a remplacer. Il est facile de faire la critique de la r'eformation et de la r'evolution en lisant leur histoire, mais l'Europe les a dict'ees et les a 'ecrites avec son propre sang. Elle s'est 'elev'ee dans ces grandes luttes par ses protestations, au nom de la libert'e de la pens'ee et des droits de l’homme `a cette hauteur de conviction qu'elle ne sait peut-^etre pas r'ealiser. Nous autres, nous sommes plus libres du pass'e, c'est un grand avantage, mais il oblige `a plus de modestie. C'est une vertu par trop n'egative pour ^etre m'eritoire, et il n'y a que l'ultraroman-tisme pour 'elever l'absence des vices au rang des bonnes actions. Nous sommes libres du pass'e, parce que notre pass'e est vide, pauvre, 'etroit. Il est impossible d'aimer des choses telles que le tzarisme moscovite ou l'imp'erialisme p'etersbourgeois. On peut les expliquer, on peut trouver, au milieu d'eux, les germes d'un autre avenir, mais il faut avoir la tendance de leur 'echapper comme `a des langes. Reprochant `a l'Europe de ne pas savoir d'epasser ses institutions, les Slavophiles non seulement ne disaient pas comment ils entendaient r'esoudre la grande antinomie de la libert'e individuelle et de l'Etat, mais ils 'evitaient m^eme d'entrer dans les d'etails de cette organisation politique slave, dont ils parlaient sans cesse. Sous ce rapport, ils se renfermaient dans la p'eriode de Kiev et s'en tenaient `a la commune rurale. La p'eriode de Kiev n'a pas emp^ech'e celle de Moscou, ni la perte de toutes les libert'es. La commune n'a pas sauv'e le paysan du servage; loin de nier l'importance de la commune, nous tremblons pour elle, car, au fond, il n'y a rien de stable sans la libert'e individuelle. L'Europe ne connaissant pas cette commune, ou l'ayant perdue dans les vicissitudes des si`ecles pass'es, l'a comprise, et la Russie, qui la poss`ede depuis mille ans, ne la comprenait pas, tant que l'Europe n''etait pas venue lui dire, quel tr'esor elle recelait dans son sein. On a commenc'e `a appr'ecier la commune slave lorsque le socialisme a commenc'e `a se r'epandre. Nous d'efions les Slavophiles de nous prouver le contraire.
L'Europe n'a pas r'esolu l'antinomie entre l'individu et l'Etat, mais au moins elle en a pos'e la question. La Russie s'approche du probl`eme d'un c^ot'e oppos'e, mais elle non plus ne l'a pas r'esolu. C'est en pr'esence de cette question que commence notre 'egalit'e. Nous avons plus d'esp'erances, car nous ne faisons que commencer, mais une esp'erance n'est une esp'erance, que parce qu'elle peut ne pas se r'ealiser.
Il ne faut pas trop sefier `a l'avenir, ni dans l'histoire, ni dans la nature. Chaque foetus n'atteint pas l'^age adulte, tout ce qui se meut dans l'^ame ne se r'ealise pas, quoique tout aurait pu se d'evelopper dans d'autres circonstances.
Peut-on s'imaginer que les facult'es, qu'on trouve dans le peuple russe puissent se d'evelopper par la servitude, par l'ob'eissance passive, par le despotisme p'etersbourgeois? Une longue servitude n'est pas un fait accidentel, elle correspond naturellement `a quelque 'el'ement du caract`ere national. Cet 'el'ement peut ^etre absorb'e, vaincu par les autres, mais il peut vaincre aussi. Si la Russie peut s'accommoder avec l'ordre des choses existant, elle n'aura pas l'avenir que nous esp'erons. Si elle continue la route de P'etersbourg, ou si elle retourne `a la tradition de Moscou) elle n'aura d'autre vocation que de se ruer sur l'Europe comme une horde demi-barbare et demi-corrompue, de d'evaster les pays civilis'es et de p'erir au milieu de la destruction g'en'erale.
Ne fallait-il donc pas chercher par tous les moyens `a rappeler le peuple russe `a la conscience de sa funeste position, ne f^ut-ce qu'en forme d'essai, pour se convaincre de l'impossibilit'e? Et qui donc devait le faire si ce n'est ceux qui repr'esentaient l'intelligence du pays, ces organes du peuple par lesquels il cherchait `a comprendre sa propre position? Que leur nombre soit grand ou petit, cela ne change rien. Pierre 1er 'etait seul, les D'ecem-bristes une poign'ee d'hommes. L'influence des individus n'est pas aussi minime qu'on est tent'e de le croire, l'individu est une force vive, un ferment puissant dont l'action n'est m^eme pas toujours paralys'ee par la mort. Que de fois ne voit-on pas un mot, dit `a propos, faire pencher la balance des peuples, d'eterminer ou clore des r'evolutions?
Au lieu de cela, que faisaient les Slavophiles? Ils pr^echaient la soumission, cette premi`ere vertu de l''eglise grecque, cette base du tzarisme moscovite. Ils pr^echaient le d'edain de l'Occident qui seul pouvait encore 'eclairer l'ab^ime de la vie russe; ils pr^onaient enfin le pass'e, dont il fallait se d'efaire, au contraire, pour un avenir d'esormais commun `a l'Orient et `a l'Occident.
Il est 'evident qu'il fallait s'opposer `a une pareille direction des esprits, la pol'emique se d'eveloppa en effet de plus en plus. Elle dura jusqu'`a l'ann'ee 848 et atteignit son point culminant vers la fin de 1847, comme si l'on pressentait que, dans quelques mois, on ne pourrait discuter sur rien, en Russie, et que cette lutte devait p^alir devant la gravit'e des 'ev'enements.
Deux articles surtout exprim`erent les deux opinions contradictoires. L'un, sous le titre de
Le danger du slavisme devient 'evident dans la r'eplique du Moscovite qui a puis'e ses arguments dans les chroniques slaves, le cat'echisme grec et le formalisme h'eg'elien. L'auteur slavophile croit que le principe personnel 'etait bien d'evelopp'e dans l'ancienne Russie, mais que la personne, 'eclair'ee par l''eglise grecque, poss'edait le don sublime de la r'esignation et transportait volontairement sa libert'e sur la personne du prince. Le prince exprime la compassion, la bienveillance et l'individualit'e libre. Chacun abdiquait son autonomie personnelle et la sauvait en m^eme temps dans le repr'esentant du principe individuel, le souverain.
Ce don d'abn'egation et le don encore plus grand de ne pas en abuser formaient, selon l'auteur, un accord harmonieux entre le prince, la commune et l'individu; accord admirable qui ne trouve d'autre explication chez l'auteur que la pr'esence extraordinaire du St. Esprit dans l''eglise byzantine.
Si les Slavophiles veulent repr'esenter une opinion s'erieuse, un c^ot'e r'eel de la conscience publique, une force enfin qui tend `a se r'ealiser dans la vie russe, s'ils veulent quelque chose de plus que des disputes arch'eologiques et des controverses th'eologiques, nous avons le droit d'exiger d'eux l'abandon de cet abus immoral de mots, de cette dialectique d'eprav'ee. Nous disons
Que signifient ces solutions m'etaphoriques qui ne repr'esentent que l'inverse de la question m^eme? Pourquoi ces images, ces symboles, au lieu des choses? Est-ce que les Slavophiles ont 'etudi'e les annales du Bas-Empire pour s'inoculer cette l`epre byzantine? Nous ne sommes pas des Grecs du temps des Pal'eologue pour disputer de l'opus operans et le l'opus operatum, dans un temps o`u un avenir inconnu et immense frappe `a notre porte.
Leur m'ethode philosophique n'est pas nouvelle, le c^ot'e droit des h'eg'eliens parlait de la m^eme mani`ere, il y a une quinzaine d'ann'ees; il n'y a pas d'absurdit'e qu'on ne puisse faire entrer dans le moule d'une dialectique vide, en lui donnant un aspect profond'ement m'etaphysique. Il faut seulement ne pas savoir ou oublier que le contenu et la m'ethode ont un autre rapport que le plomb et le moule aux balles, et que le dualisme seul ne comprend pas la solidarit'e qui les lie. L'auteur en parlant du prince n'a fait que paraphraser la d'efinition tr`es connue que Hegel donne de l'esclavage, dans la Ph'enom'enologie (Herr und Knecht). Mais il a oubli'e avec pr'em'editation comment Hegel sort de ce degr'e inf'erieur de la conscience humaine. Il est `a remarquer que ce jargon philosophique qui appartient par la forme `a la science et par le contenu `a la scolastique, se retrouve chez les j'esuites. M. Montalembert, en r'epondant `a une interpellation sur les cruaut'es commises par le gouvernement papal dans les prisons de Rome, a dit: «Vous parlez des cruaut'es du pape, mais il ne peut pas ^etre cruel, sa position le lui d'efend, lui, le vicaire de J'esus Christ ne peut que pardonner, qu'^etre mis'ericordieux, et effectivement les papes pardonnent toujours. Le St. P`ere peut ^etre attrist'e, il peut prier pour le coupable, mais il ne peut ^etre implacable, etc.». – A la demande si l'on applique la torture `a Rome, l'on r'epond que le pape est cl'ement; au raisonnement que nous sommes tous esclaves, que le droit personnel n'est pas d'evelopp'e en Russie, l'on r'epond: «Nous l'avons sauv'e en le placant sur la t^ete du prince». D'erision qui provoque le m'epris de la parole humaine! S'appuyer sur la religion n'est gu`ere convenable, mais s'appuyer sur une religion obligatoire l'est encore moins. Chaque auteur a le droit incontestable de croire ce que bon lui semble-mais avoir recours aux preuves th'eologiques dans une discussion scientifique avec un homme qui tait sa religion, c'est manquer de convenances. Pourquoi s'abriter derri`ere un fort inexpugnable, contre lequel la moindre attaque m`ene au cachot?
D'ailleurs, il est impossible de comprendre comment les Slavophiles, si leur religion leur est vraiment ch`ere, n'ont pas de d'ego^ut pour la m'ethode hypocrite de la Philosophie de la religion, cette r'ehabilitation faible et sans foi, ce plaidoyer froid et p^ale, o`u la science orgueilleuse, apr`es avoir mis au tombeau sa soeur, lui jette un sourire de condol'eance? Comment ont-ils le courage de tra^iner ce qu'ils ont de plus sacr'e, dans des disputes, o`u l'on ne l'estime pas et o`u l'on ne le tol`ere que par respect pour la police!