Том 7. О развитии революционных идей в России
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Le slavisme qui n'attendait le salut de la Russie que de la r'ehabilitation du r'egime byzantino-moscovite n''emancipait pas mais liait; n'avancait pas, mais reculait. Les Europ'eens, ainsi que les appelaient les Slavophiles, ne voulaient pas 'echanger un collier d'esclavage allemand contre un collier slavo-orthodoxe ils voulaient se lib'erer de tous les colliers possibles. Il ne s'efforcaient pas de rayerles temps qui s''etaient 'ecoul'es depuis Pierre Ier, les efforts d'un si`ecle si dur, si rempli de fatigues. Ce qu'on avait obtenu par tant de souffrances, par des torrents de sang, ils ne voulaient pas l'abdiquer pour revenir `a un ordre de choses 'etroit, `a une nationalit'e exclusive, `a une 'eglise stationnaire. Les Slavophiles avaient beau dire comme les l'egitimistes, qu'on pouvait en prendre le bon c^ot'e et laisser le mauvais. C''etait une erreur fort grave, ils en commettaient une autre qui est commune `a tous les r'eactionnaires. Adorateurs du principe historique, ils oubliaient constamment que tout ce qui s''etait pass'e depuis Pierre Ier 'etait aussi de l'histoire, et qu'aucune force vivante, pour ne pas parler des revenants, ne pouvait effacer les faits accomplis, ni 'eliminer leurs suites.
Tel est le point de vue duquel partit une vive pol'emique contre les Slavophiles. A c^ot'e d'elle, les autres int'er^ets, qui se d'ebattaient dans les journaux, descendirent au second rang. La question, en effet, 'etait palpitante d'int'er^et.
S'enkofski lanca une nu'ee de ses fl`eches les plus acerbes dans le camp des Slavophiles avec une adresse parfaite. Satisfait des 'eclats de rire qu'il provoqua contre ses victimes, il se retira avec orgueil. Il n''etait pas fait pour une pol'emique s'erieuse. Mais un autre journaliste releva la mitaine [15] des Slaves jet'ee `a Moscou, et d'eroula bravement le drapeau de la civilisation europ'eenne contre la lourde banni`ere, `a l'image de la vierge byzantine, que portaient les Slavophiles.
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Gants `a un doigt (roukavitza) que portent les paysans.
Ce lutteur, qui parut `a la t^ete des Annales patriotiques, ne pr'edisait pas de grands succ`es aux Slavophiles. C''etait un homme de talant et d''energie, qui avait, lui aussi, des convictions fanatiques, un homme audacieux, intol'erant, irascible et nerveux: B'elinnski.
Son propre d'eveloppement est tr`es caract'eristique pour le milieu dans lequel il a v'ecu. N'e dans la famille d'un pauvre fonctionnaire d'une ville de province, il n'en emporta aucun souvenir consolant. Ses parents 'etaient durs, incultes, comme tous les gens de cette classe d'eprav'ee. B'elinnski avait dix ou onze ans, lorsque un jour son p`ere, rentrant `a la maison, se mit `a le gronder. L'enfant voulut se justifier. Le p`ere furieux le frappa, le renversa par terre. Le garcon se leva m'etamorphos'e: l'offense, l'injustice avaient bris'e en lui `a la fois tous les liens de parent'e. La pens'ee de la vengeance l'occupa longtemps; mais le sentiment de sa propre faiblesse la changea en cette haine contre toute autorit'e de famille qu'il conserva jusqu'`a la mort.
C'est ainsi qu'a commenc'e l''education de B'elinnski. La famille l’'emancipa par les mauvais proc'ed'es, la soci'et'e par la mis`ere. Jeune homme nerveux et maladif, peu pr'epar'e pour les 'etudes acad'emiques, il ne fit rien `a l'Universit'e de Moscou, et, comme il y fut 'elev'e aux frais de la couronne, on l'en exclut en disant:
Stank'evitch, mort jeune il y a une dizaine d'ann'ees en Italie, n'a rien fait de ce qu'on inscrit dans l'histoire, et pourtant il y aurait de l'ingratitude `a le passer sous silence, lorsqu'on parle du d'eveloppement intellectuel en Russie.
Stank'evitch appartenait `a ces natures larges et sympathiques dont l'existence seule exerce une grande action sur tout ce qui les entoure. Il a r'epandu, parmi la jeunesse de Moscou, l'amour de la philosophie allemande, introduite `a l'Universit'e de cette ville Par un professeur distingu'e, Pavloff. C'est Stank'evitch qui dirigea les 'etudes d'un cercle d'amis, qui reconnut le premier les facult'es sp'eculatives de notre ami Bakounine et qui le poussa `a l''etude de Hegel; c'est lui aussi qui rencontra Koltzoff dans le gouvernement de Voron`eje, l'amena `a Moscou et l'encouragea. Stank'evitch appr'ecia `a sa juste valeur l'esprit ardent et original de B'elinnski. Bient^ot la Russie enti`ere rendit justice au talent audacieux du publicist tax'e d'incapacit'e par le curateur de l'Universit'e de Moscou.
B'elinnski se mit avec acharnement `al''etude de H'egel. Son ignorance de la langue allemande, loin de former un obstacle, ne fit que faciliter ses 'etudes: Bakounine et Stank'evitch se charg`erent de lui faire part de ce qu'ils savaient sur ce sujet et le firent avec tout l'entra^inement de la jeunesse et toute la clar t'e de l'esprit russe. Il ne lui fallait au reste que des indices pour atteindre ses amis. Une fois ma^itre du syst`eme de Hegel, il s'insurgea le premier entre ses adeptes moscovites, sinon contre Hegel lui-m^eme, au moins contre la mani`ere de l'entendre.
Belinnski 'etait compl`etement libre des influences que nous subissons lorsque nous ne savons pas nous en d'efendre. S'eduite par la nouveaut'e, nous acceptons dans notre premi`ere jeunesse une foule de choses de m'emoire, sans les v'erifier par l'entendement. Ces r'eminiscences, que nous prenons pour des v'erit'es acquises, lient notre ind'ependance. B'elinnski commenca ses 'etudes par la philosophie, et cela `a l'^age de vingt-cinq ans. Il aborda la science avec des questions s'erieuses et une dialectique passionn'ee. Pour lui, les v'erit'es, les r'esultats n''etaient ni des abstractions ni des jeux d'esprit, mais des questions de vie ou de mort; libre de toute Influence 'etrang`ere, il entra dans la science avec plue de sinc'erit'e; il ne chercha `a rien sauver du feu de l'analyse et de la n'egation, et tout naturellement, il se r'evolta contre les demi-solutions, les conclusions timides et les l^aches concessions. Tout cela n'est plus nouveau, apr`es le livre de Feuerbach et la propagande faite par le journal d'Arnold Ruge, mais il faut se rapporter au temps ant'erieur `a 1840. La philosophie h'eg'elienne 'etait alors sous le charme de ces tours de passe-passe dialectiquos qui faisaient repara^itre la religion dissoute et d'emolie par la Ph'enom'enologieet la Logique, dans la Philosophie de la Religion. C''etait ie tempe o`u l'on 'etait encore enchant'e que la langue philosophique e^ut atteint une telle perfection que les initi'es voyaient l'ath'eisme l`a, o`u les profanes trouvaient la foi.
Cette obscurit'e pr'em'edit'ee, cette retenue circonspecte ne pouvaient manquer de provoquer une opposition acharn'ee de la part d'un homme sinc`ere, B'elinnski, 'etranger `a la scolastique, libre de la pruderie protestante et des convenances prussiennes, etait indign'ede cette science pudique, qui mettait une feuille de vigne sur ses v'erites.
Un jour apr`es avoir combattu pendant des heures enti`eres le panth'eisme timor'e des Berlinois, B'elinnski se leva en disant de savoix palpitante et convulsive:
Nous ne citons ces paroles que pour montrer encore une fois tournure de l'esprit russe. D`es qu'on avait commenc'e `a pr^echer l'absurdit'e du dualisme, le premier homme de talent en Russie qui s'occup^at de la philosophie allemande s'apercut qu'elle n''etait r'ealiste que sur parole, qu'elle restait au fond une religion terrestre, une religion sans ciel, un couvent logique o`u on fuyait le monde pour se plonger dans les abstractions.
L'activit'e publique de B'elinnski ne date que de 1841. Il s'empara alors de la direction des Annales patriotiquesde Petersburg et domina le journalisme pendant six ann'ees. Il tomba,comme un guerrier, avec le journalisme russe. Il est mort en 1848, ext'enu'e de fatigue, abreuv'e de d'ego^uts et en proie `a la plus grande mis`ere.
B'elinnski a beaucoup fait pour la propagande. Toute la jeunesse studieuse se nourrissait de ses articles: il forma le go^ut esth'etique du public, il donna de la vigueur a la pens'ee. Sa critique p'en'etrait plus avant que celle de Pol'evo"i, soulevant d'autres questions et d'autres doutes. On l'a peu appr'eci'e; il y avait, lui vivant, trop d'amour-propres bless'es, trop do vanit'es froiss'ees; apr`es sa mort, le gouvernement d'efendit d''ecrire `a son sujet, et c'est ce qui m’a d'etermin'e `a m''etendre sur lui plus que sur un autre.