La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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Et le gros homme entonna un refrain :
`A boire, `a boire, `a boire,
Et si mon auditoire
Approuve ce refrain
Recommencons `a boire
Du vin, du vin, du vin.
Puis, ayant chant'e, C'elestin Labourette se versa force rasades qu’il avala d’un trait, s’excitant de plus en plus, apr`es quoi, brusquement il ne disait plus rien, il fermait les yeux, sa t^ete dodelinait sur ses 'epaules, le sommeil lourd de l’ivresse appesantissait ses paupi`eres.
— Il est parti, Ad`ele.
— Il est saoul, dit Chonchon.
Et, un instant plus tard :
— Qu’est-ce qui te prend, Ad`ele ?
— Rien, j’sais pas, et toi ?
— On a march'e ?
— T’es pas folle ? c’est le domestique.
— Il met du temps `a revenir.
— P’t’^etre bien qu’il go^ute `a la fine pour son propre compte.
Chonchon recommenca `a manger, mais Ad`ele 'ecoutait toujours. `A la fin. Chonchon s’impatienta :
— Bouffe donc, dit-elle avec un haussement d’'epaules. Papa cochon dort, il ne nous emb^ete plus, c’est le moment d’en profiter. Eh bien qu’est-ce qui te prend ? o`u qu’tu vas ? t’es pas folle ?
Ad`ele s’'etait lev'ee. Elle posa sa serviette sur la table, repoussa doucement sa chaise, se d'ebarrassa lentement du bras que C'elestin Labourette avait laiss'e appuy'e `a son 'epaule, puis, sur la pointe des pieds, elle traversa la salle `a manger, se dirigea vers la porte du vestibule :
— Et puis zut, d'eclara Chonchon, fais ce que tu veux, moi je bouffe. C’est toujours ca de gagn'e.
Et avec une ardeur nouvelle, Chonchon attaqua sa part de saint-honor'e.
***
Dans la cave, J'er^ome Fandor ne se pressait pas de prendre dans l’un des casiers la bouteille de fine demand'ee.
— C’est assommant, se disait Fandor. J’ai beau peser le pour et le contre, comment savoir si ces deux bonnes femmes m’ont reconnu ? Je ne pense pas que Chonchon, qui ne m’a vu qu’`a Saint-Calais, en 'el'egant, puisse m’identifier maintenant que j’ai pass'e larbin, mais Ad`ele ? Elle me regardait avec un dr^ole d’air. D'ecid'ement, ce gros gaffeur de C'elestin est stupide d’attirer l’attention sur moi. Bon, je m’en vais encore faire mon service aujourd’hui, mais je crois que demain je rendrai mon tablier. La place est parfaite, 'evidemment. Mais puisque je n’arrive pas `a d'ecouvrir quoi que ce soit d’int'eressant en 'etant ventre-blanc chez ce marchand de cochons, je n’ai aucune raison de m’attarder dans un emploi qui n’a, pour moi, rien de profitable ni d’honorifique.
Et soudain, l`a-haut, ce fut le tohu-bohu.
En guise de plafond, le r'eduit ne comportait que le plancher de la salle `a manger, plancher rustique, grossier, mince. J'er^ome Fandor, tr`es 'etonn'e de ce qu’il entendait, 'ecouta mieux, et brusquement il p^alit. Une voix qui n’'etait celle ni d’Ad`ele ni de Chonchon ni celle de C'elestin Labourette, disait :
— Eh bien mon vieux, le marchand de cochons, j’crois qu’il est proprement saign'e.
Puis Fandor entendit :
— Le salaud, il va tout ab^imer et flanquer du raisin'e partout.
— Couche-le par terre, quoi.
Un bruit pesant 'ebranla le plafond de la r'eserve. `A la lumi`ere clignotante de son rat de cave, J'er^ome Fandor vit une tache se dessiner, s’agrandir, s’'elargir avant de commencer `a couler goutte `a goutte. C’'etait un liquide rouge, un liquide 'epais qui tombait du plafond. Du sang.
— Ils l’ont assassin'e, pensa J'er^ome Fandor, bon Dieu de bon Dieu, on vient de le tuer. L’assassin est entr'e alors que je descendais. D’ailleurs, si Chonchon, apr`es tout, 'etait fille de joie, Ad`ele avait 'et'e femme de chambre chez Rita d’Anr'emont, au moment o`u S'ebastien Marquet-Monnier avait 'et'e vitriol'e. Elle avait des accointances au bureau Thorin qui avait install'e Backefelder vol'e par Fant^omas et o`u fr'equentait lady Beltham. Nul doute, l’affreuse cr'eature avait d^u introduire les assassins, ici comme `a la Villa Sa"id.
Un instant plus tard, J'er^ome Fandor se pr'ecipitait dans l’escalier, arm'e de sa bouteille de fine et pr^et `a frayer son chemin `a travers les rangs de l’ennemi. Il allait ouvrir la porte de la cave et se pr'ecipiter lorsqu’il s’arr^eta net. Dans le vestibule on parlait. La voix d’Ad`ele, d’abord :
— 'Ecoute, disait la jeune femme, maintenant que le type aux cochons est clamec'e, faudrait un peu s’occuper de l’autre. J’en suis s^ure j’te dis, je l’ai reconnu sous sa livr'ee de domestique, c’est Fandor. Vas-y, Bedeau.
Voix du Bedeau :
— On va y aller !
— Surtout, on va rire, se disait Fandor. Si le Bedeau vient ici avec l’intention de me surprendre et de m’assommer dans ce trou noir, h'e, h'e, nous sommes de vieilles connaissances, le Bedeau et moi.
Peut-^etre 'etait-ce parce qu’il y avait de la poudre dans l’air, J'er^ome Fandor se frottait les mains avec une conviction, une ardeur. Et le journaliste, `a pas pr'ecautionneux, redescendit l’escalier de la cave. Un bruit de clef dans la serrure, la porte de la cave s’'etait ouverte, puis referm'ee.
Le Bedeau descendait.
Alors, Fandor se rencogna tout contre l’escalier, adoss'e `a la muraille. Il avait 'eteint son rat de cave. Il faisait un noir d’encre.
Le Bedeau descendait toujours.
Bruit du revolver qu’on arme. Le Bedeau devait avoir bu lui aussi. Voil`a qu’il prenait, qu’il essayait de prendre la voix et le ton du pauvre C'elestin Labourette :
— Alors, tu l’apportes, cette bouteille ?
Fandor ne r'epondit pas.
Le Bedeau pressa sur le d'eclic d’une lampe de poche, il regarda autour de lui, vit Fandor, sursauta, tendit le bras et fit feu de son revolver, en hurlant :
— `A mort le j'esuite, `a mort le mouchard.
Fandor s’'etait laiss'e tomber et avait agripp'e le Bedeau par les jambes :
— Rends-toi.
Mais l’apache n’avait pas l^ach'e son arme. Il fit feu une seconde fois.
— Alors, gare la casse, dit le journaliste, et d’un vigoureux coup de poing, de sa gauche, il 'etourdit le Bedeau, cependant que sa main droite empoignait par le goulot la bouteille de fine champagne demeur'ee `a sa port'ee.
Une troisi`eme fois, le Bedeau essayant de se relever, brandit son revolver. D'ej`a, Fandor, de sa bouteille de fine champagne, avait frapp'e l’apache au front.