Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
Шрифт:
Gauvin vint s’asseoir devant son bureau, puis sortit son portefeuille et examina longuement une sorte de petit carnet multicolore qu’il y avait enferm'e.
De l’endroit o`u il se trouvait, Juve pouvait lire les principales inscriptions de ce carnet.
Et, au fur et `a mesure que Gauvin tournait les pages, Juve se rendait compte de la nature du document.
C’'etait un billet de chemin de fer, mais non point un billet ordinaire ; c’'etait un de ces carnets sp'eciaux comme on en a pour les voyages circulaires, ou alors les lointains trajets.
Juve lisait :
Paris-Bruxelles, Bruxelles-Anvers, Anvers-Londres, Londres-Liverpool, Liverpool-Rio de Janeiro.
— Qu’est-ce que cela signifie ? se demandait le policier. Est-ce que Gauvin, par hasard, aurait l’intention…
Il pr^eta l’oreille ; le jeune notaire, qui venait de s’emparer d’un indicateur et qui le feuilletait fi'evreusement, monologuait `a mi-voix :
— Demain matin, je serai `a Paris, demain soir `a Londres en passant par Anvers ; lundi dans la nuit, je serai `a bord du navire qui m’emm`ene au Br'esil, et bien tranquille… L’'etude ferme le dimanche, on ne s’apercevra de mon d'epart que lundi matin… de mon d'epart… soulignait Gauvin avec un petit ricanement qui surprenait Juve au plus haut point.
— Ah ca ! se demandait le policier, que m'edite donc ce suspect tabellion ?
Les circonstances devaient servir Juve et le renseigner pleinement.
Gauvin s’'etait renvers'e dans son fauteuil et, d'esormais, il relisait une lettre 'ecrite de sa main ; il la relisait `a haute voix, soulignant la ponctuation.
Or, elle 'etait ainsi concue :
Monsieur le procureur g'en'eral,
`A l’heure o`u vous recevrez cette lettre, le soussign'e Gauvin, notaire `a Grenoble, aura cess'e d’exister.
Ne cherchez pas mon corps ; la mort que j’ai d'ecid'e de me donner aura pour cons'equence sa disparition.
Si je mets un terme `a mon existence, c’est parce que je viens d’^etre victime d’un vol affreux, qui non seulement me ruine, mais encore ruine mes chers clients.
Je ne puis survivre `a ce coup terrible du sort, et je pr'ef`ere dispara^itre de ce monde. Qu’on excuse cet acte de d'esespoir, qui m’est inspir'e par les circonstances !
— Oh ! oh ! pensa Juve, je m’'etais toujours dit que ce petit Gauvin 'etait une fameuse fripouille ; je commence `a croire que je ne me suis point tromp'e !… Qu’est-ce que signifie cette com'edie ?
Gauvin, cependant, tr`es satisfait des termes de sa lettre, ricanait joyeusement :
— Pas mal ! pas mal ! monologuait-il. Lorsqu’on trouvera cette lettre, que l’on verra le d'esordre qui r`egne dans l’'etude, et surtout que l’on s’apercevra qu’il n’y a plus un sou en caisse, que tous les titres en d'ep^ot ont disparu, nul ne s’avisera de songer que le v'eritable voleur est celui qui pr'etend s’^etre donn'e la mort pour ne point survivre au d'eshonneur !
— Tr`es bien ! ponctuait Juve, de mieux en mieux ! Gauvin, mon ami, j’ai comme une vague id'ee que ce soir, au lieu de rouler dans la direction de Paris, tu vas faire connaissance avec les cachots de la prison de Grenoble !
Gauvin, cependant, se levait.
Brusquement, il marcha vers la malle dans laquelle 'etait Juve.
— Oh ! oh ! pensa le policier, cela va se g^ater !
D'esormais, Gauvin 'etait trop pr`es de lui pour que Juve put voir ce qu’il faisait. Il ne s’en rendit pas bien compte, d’ailleurs. Il entendait comme le bruissement de quelque chose glissant sur le long de la malle `a l’ext'erieur, puis un claquement sec.
Gauvin, d’ailleurs, s’'eloignait, revenait aupr`es de son bureau et se penchait vers le tiroir dans lequel, quelques instants auparavant, Juve avait pris le papier appartenant `a M me Rambert.
Un cri de rage retentit…
Gauvin venait de voir, au milieu du tiroir, l’enveloppe d'echir'ee qui avait contenu les titres de sa cliente.
Il eut d’abord un recul de stupeur.
— Nom de Dieu de nom de Dieu ! jura-t-il ensuite, c’est moi qui suis vol'e !
Et, d`es lors, il se laissait tomber dans un fauteuil ; il haletait.
Toutefois r'eagissant contre l’'emotion, Gauvin bondissait `a nouveau hors du si`ege dans lequel il s’'etait laiss'e choir. Il s’agenouillait devant le tiroir, il le vidait avec une h^ate f'ebrile.
— C’est pas possible !… grognait-il, je me trompe… je suis fou…
H'elas, Gauvin devait reconna^itre que les titres dont il voulait s’emparer avaient d'ej`a trouv'e preneur.
Gauvin devint tr`es p^ale.
Il se releva, croisa les bras, r'efl'echit un instant.
— Apr`es tout, articula-t-il d’une voix s`eche, je n’ai plus qu’une chose `a faire, porter plainte, puisque je suis r'eellement vol'e, il va falloir qu’on trouve le voleur !
Il semblait que le visage du notaire s’'eclaircissait soudain.
Il s’'etait demand'e un instant `a qui il fallait s’adresser, une id'ee germait dans son cerveau.
— Parbleu ! articulait-il presque joyeux, je sais comme tout Grenoble que Juve est au Modem H^otel, qu’est-ce que j’attends pour aller le pr'evenir ?
Malgr'e tout Juve avait envie de rire au fond de sa malle.
— Allons, fit-il, c’est le moment ou jamais d’intervenir… et puisque Gauvin a besoin de moi…
Le policier faisait un mouvement brusque, convaincu qu’il n’avait qu’`a se dresser pour soulever le couvercle de la malle, mais, `a sa grande surprise, celui-ci r'esista.
L’osier cependant avait craqu'e, et Gauvin bondissait en arri`ere terrifi'e.
Son visage devint livide.
— Ah nom de Dieu ! balbutia-t-il.