Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— En effet, reconnut M me Verdon, qui se rendait compte qu’il fallait `a toute force 'ecouter le verbiage de M me F'erot jusqu’au bout.
— Mais voil`a-t-il pas, poursuivit celle-ci, qu’hier soir, par le train omnibus arrivant de Lyon, descendait `a l’h^otel o`u travaille mon mari un vieux bonhomme tout cass'e.
» Il avait une allure bien diff'erente de celle des voyageurs qui fr'equentent habituellement l’h^otel, et lorsqu’on lui annonca qu’il n’y avait pas de chambres au-dessous de douze francs, on crut qu’il allait avoir une syncope tant il parut stup'efait et ennuy'e !
» N'eanmoins, comme il 'etait tard, le vieux bonhomme prit la chambre qu’on lui proposait, mais il d'eclara `a mon mari :
» — D`es demain, je quitterai cet appartement dans lequel je ne puis rester, n’ayant pas les moyens de payer un loyer semblable.
» De fil en aiguille, il se mit `a bavarder avec mon mari et il lui raconta :
» — Je suis le professeur Marcus et j’arrive de Zurich. Je m’occupe de g'eologie et de botanique ; j’ai l’intention de faire un s'ejour assez long dans la r'egion des Alpes avoisinant Grenoble qui pr'esente pour moi le plus vif int'er^et.
» Puis sortant un journal de sa poche, un journal de Grenoble, dans lequel figurait la petite annonce que vous avez publi'ee, il y a quinze jours, il demanda `a mon mari :
» Connaissez-vous cette dame Verdon de Dom`ene, qui demande un pensionnaire chez elle ? Est-ce une personne respectable ?
» — Ah ! par exemple, monsieur, comme ca se trouve ! r'epondit mon mari. C’est justement quelqu’un qui conna^it ma femme !
» Naturellement, poursuivait M me F'erot, mon mari a donn'e les meilleurs renseignements, et il s’est lui-m^eme renseign'e sur le vieux savant.
» Celui-ci veut bien payer quarante francs par semaine, il ira m^eme jusqu’`a quarante-cinq. Il ne compte recevoir personne chez lui ou pour mieux dire chez vous, si vous le prenez comme locataire, et enfin il assure qu’il ne fera jamais de tapage, 'etant perp'etuellement dehors `a la recherche de cailloux ou de mousses dans la montagne.
» C’est pourquoi, madame Verdon, j’ai pens'e que cet homme-l`a serait pour vous la perle des locataires, et je suis venue vous annoncer sa visite…
— Oh ! oh ! s’'ecria la vieille dame, vous avez d'ej`a l’intention de me l’envoyer ?…
Nettement, M me F'erot r'epliqua :
— Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud ! Croyez-moi, madame Verdon. Par votre ind'ecision et votre lenteur `a prendre un parti, vous avez d'ej`a manqu'e plusieurs bonnes occasions, et vous avez de la chance d’en avoir autant. Moi, je sais bien que si j’avais une chambre `a louer, je ne trouverais jamais des pensionnaires comme ceux que vous avez trouv'es et que vous avez refus'es. Oui, madame Verdon, cet homme-l`a, le professeur Marcus, puisque tel est son nom, sera chez vous cet apr`es-midi, sur le coup de trois heures. Vous verrez ce que vous devez faire, et dame, si cela ne vous pla^it pas, moi, je ne m’en occupe plus !
Elle avait l’air quelque peu vex'ee et m^eme furieuse et M me Verdon, s’apercevant de l’attitude de son interlocutrice, s’excusa du peu d’enthousiasme qu’elle manifestait `a l’id'ee d’avoir un pensionnaire qui paierait quarante francs par semaine, peut-^etre m^eme quarante-cinq.
Elle tendit ses vieilles mains blanches et rid'ees `a la jeune femme qui les serrait.
Et, de sa voix douce et harmonieuse, M me Verdon articula :
— Merci, madame F'erot, merci de tout coeur. Somme toute, vous avez raison de me parler avec 'energie, et vous m’amenez, en somme, j’en suis s^ure, un tr`es bon pensionnaire. Que voulez-vous ! L’ind'ecision, c’est dans ma nature. J’ai toujours 'et'e ind'ecise dans la vie. H'elas ! si j’avais eu plus de volont'e, peut-^etre me serait-il arriv'e moins de malheurs !…
M me Verdon prononcait ces derni`eres paroles d’un ton p'en'etr'e, le regard vague, les yeux lev'es au ciel.
Elle semblait, en les prof'erant, avoir oubli'e la pr'esence de M me F'erot, elle avait l’air de parler pour elle-m^eme.
Son interlocutrice la consid'era quelques instants, non sans para^itre un peu 'etonn'ee.
Cette M me Verdon, d'ecid'ement, avait une facon d’^etre assez 'etrange.
Il y avait bien une dizaine d’ann'ees qu’elle 'etait install'ee `a l’entr'ee du village de Dom`ene, dans cette confortable propri'et'e qu’elle avait achet'ee, pay'ee comptant, et o`u elle paraissait vouloir finir ses jours.
Lorsqu’elle 'etait arriv'ee dans le pays, elle avait d'eclar'e ^etre veuve, seule au monde, sans enfant, et venir s’installer l`a uniquement parce que la r'egion lui plaisait.
Elle avait depuis lors men'e une existence tranquille, paisible, monotone m^eme, ne recevant personne, vivant tr`es retir'ee, et se contentant, lorsqu’elle sortait dans le village, d’^etre en bons termes avec tous mais sans intimit'e.
`A partir de dix heures du soir on ne voyait plus jamais de lumi`ere chez M me Verdon, et on pouvait dire qu’`a part deux ou trois fois par an, elle n’avait pas donn'e `a d^iner `a quatre personnes en tout et pour tout.
Lorsqu’elle 'etait arriv'ee au pays on avait fait `a son sujet les plus 'etranges suppositions.
Les uns avaient affirm'e, apr`es l’avoir consid'er'ee, qu’elle avait d^u ^etre jolie dans sa jeunesse, que ce devait ^etre une ancienne cocotte retir'ee des affaires !
D’autres langues, plus m'echantes, pr'etendaient que cette femme, qui ne voulait point se lier avec des gens et qui paraissait supporter sans souffrances sa vie si retir'ee, si solitaire, devait ^etre une ancienne criminelle l^ach'ee par la maison centrale apr`es une vingtaine d’ann'ees d’emprisonnement !
Il y avait encore des gens pour pr'etendre que c’'etait une religieuse d'efroqu'ee. Cette supposition ne recueillait gu`ere de suffrage, car M me Verdon portait une alliance d’or au doigt, et enfin les plus indiff'erents, qui 'etaient peut-^etre aussi les plus logiques, disaient qu’il s’agissait l`a, d’une vieille c'elibataire, venue se retirer dans cette propri'et'e de Dom`ene pour ce simple et suffisant motif que la propri'et'e lui plaisait.
M me F'erot 'etait peut-^etre une des personnes les plus li'ees avec M me Verdon. Cela tenait assur'ement `a ce que, lorsque M me F'erot 'etait jeune fille, elle habitait avec ses parents, tout `a proximit'e de la demeure de M me Verdon, et que les voisins entretenaient de bonnes relations.