Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— Pas encore, avoua le savant.
M me Verdon s’indignait d’avoir oubli'e de poser une question si naturelle `a son h^ote.
— Moi, j’ai d’autres habitudes, fit-elle ; je d'ejeune `a onze heures du matin.
Puis, descendant rapidement au premier 'etage, elle articulait, cependant que le vieillard la suivait :
— Je m’en vais vous pr'eparer un repas qui sera bien frugal, bien modeste, mais vous m’excuserez, je ne l’ai pas pr'evu ?…
Et encore que le vieux savant se d'efendit de lui occasionner ce d'erangement, M me Verdon, avec une gr^ace charmante, mettait rapidement le couvert, placait sur la table quelques hors-d’oeuvre, un gigot froid `a peine entam'e, puis d'ebouchait une bonne bouteille de vin.
— D'ejeunez, monsieur, je vous en prie, dit-elle.
Par discr'etion, elle allait se retirer, le savant l’en emp^echa.
— Oh ! madame, ne vous 'eloignez pas ; tenez-moi compagnie. Je suis si heureux de pouvoir m’entretenir avec une personne de votre monde et de votre intelligence !
Deux heures apr`es seulement, le savant abandonnait la salle `a manger, remerciant M me Verdon, laquelle ne l’avait pas quitt'e pendant tout le temps qu’avait dur'e le frugal repas.
Toutefois, le vieux savant et la vieille dame avaient caus'e avec tant d’animation et d’entrain que le temps leur avait paru bien court.
Le savant 'etait un homme charmant, int'eressant, instruit, extraordinairement s'eduisant.
M me Verdon 'etait intelligente, agr'eable causeuse, tr`es femme du monde 'egalement.
Et, pendant deux heures, ils s’'etaient d'ecouverts l’un l’autre, et 'egalement appr'eci'es.
Les dix ann'ees de solitude pendant lesquelles M me Verdon s’'etait renferm'ee dans un isolement volontaire et absolu, n’avaient pas an'eanti en elle les habitudes de femme du monde qu’elle poss'edait certainement autrefois.
Quant au professeur Marcus, la science et l’instruction qu’il avait acquises au cours de sa longue existence n’avaient point fait dispara^itre les principes de bonne 'education qu’il avait certainement recus dans sa premi`ere jeunesse.
Lorsqu’ils quitt`erent la salle `a manger, les deux vieillards paraissaient enchant'es l’un de l’autre.
Le professeur Marcus avait parl'e avec enthousiasme de ce pittoresque Dauphin'e qu’il aimait d'ej`a avant de le conna^itre.
Et M me Verdon avait eu honte de lui avouer que depuis dix ans qu’elle y habitait, c’'etait `a peine si elle avait 'et'e une ou deux fois par mois de Grenoble `a Dom`ene et de Dom`ene `a Chamb'ery !
— Quoi ! s’'etait 'ecri'e le professeur, vous n’^etes jamais mont'ee dans la montagne ?
— Ma foi, non, r'etorquait M me Verdon qui ajoutait :
« D’abord, mes vieilles jambes ne me le permettraient pas, et, en outre, je jouis d’ici d’un spectacle si beau, d’un panorama si 'etendu, que je n’'eprouve point le d'esir de voir autre chose !
Tout en parlant, M me Verdon conduisait le professeur au bout du jardin, o`u se trouvait une terrasse.
— C’est ici, d'eclara-t-elle, que je passe le plus clair de mes journ'ees lorsque le temps le permet. On d'ecouvre, ne trouvez-vous pas, monsieur le professeur, un magnifique panorama ?
Et, en 'etendant son bras tremblotant que terminait une main blanche toute rid'ee, M me Verdon d'esignait `a son interlocuteur cette magnifique vall'ee de l’Is`ere qui se d'eroulait au pied de la terrasse, s’en allant jusqu’aux premiers contreforts du massif de la Chartreuse.
— En face de nous, expliquait M me Verdon, c’est le Grand-Som ; puis, `a gauche, cette montagne abrupte, qui surplombe Grenoble, s’appelle le Casque-de-N'eron.
Les anecdotes du professeur avaient charm'e M me Verdon, celle-ci ne voulait pas ^etre en reste d’esprit et d’int'eressantes documentations par rapport au savant.
— On vient, commenca-t-elle, de me raconter, au sujet du Casque-de-N'eron, une bien 'etrange histoire…
— Vraiment ? fit le professeur, `a quel sujet ?
— Il s’agit, continua M me Verdon, de la vision qu’aurait eue un jeune enfant dont je connais la m`ere. Louis F'erot, c’est ainsi qu’il s’appelle, aurait vu hier, au haut du Casque-de-N'eron, la silhouette formidable et gigantesque se pr'ecisant dans les cimes neigeuses, d’un g'eant…
Mais M me Verdon s’arr^etait net, et devenait toute p^ale.
— Mon Dieu ! mon Dieu ! fit-elle, cependant que ses yeux demeuraient obstin'ement fix'es vers la montagne dont elle parlait. Mon Dieu ! suis-je l’objet d’une hallucination ?
Elle se penchait instinctivement vers le professeur et s’appuyant sur son 'epaule, elle lui demandait d’une voix angoiss'ee :
— Regardez vous-m^eme ! Regardez !
Le professeur intrigu'e regarda…
Cependant que la vall'ee, vu l’heure d'ej`a avanc'ee de la journ'ee, s’estompait dans la brume et disparaissait sous le brouillard, un soleil couchant rouge et flamboyant faisait miroiter ses rayons sur les cimes d’une blancheur 'eblouissante, surmontant le Casque-de-N'eron.
Il semblait qu’un incendie formidable s’allumait au coeur des glaciers, et que la neige se fondait sous la caresse br^ulante d’une langue de feu.
Mais soudain, comme le professeur regardait, `a son tour, il tressaillit ; ses mains, qu’il avait fines et nerveuses, se crisp`erent sur les bras du fauteuil rustique dans lequel il 'etait assis.
— Ah ! par exemple, grommela-t-il, ce n’est pas possible ! Qu’est-ce que cela signifie ?
D'esormais, le savant et la vieille femme, sans 'echanger une parole, assistaient en t'emoins stup'efaits au spectacle qui se d'eroulait devant leurs yeux.