Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Cependant, la causerie 'etait termin'ee, et la jeune femme, se sentant d'ej`a en retard, allait quitter son interlocutrice pour se rendre au march'e des gants.
M me Verdon, qui peut-^etre n’avait pas 'et'e tr`es aimable jusque-l`a, ne voulut point laisser partir son interlocutrice sur une mauvaise impression.
Elle la rappela, lui tendit encore les mains, lui sourit d’un bon sourire qui donnait `a son visage une expression ang'elique, puis, pour la toucher dans ce qu’elle avait de plus cher, elle questionna en elle, la m`ere :
— Et votre petit garcon ? Comment va-t-il ? Travaille-t-il toujours bien ?
Cette question fut pour l’ardente M me F'erot l’occasion d’une nouvelle conf'erence.
Elle allait partir, elle revint ; et comme si elle confiait `a M me Verdon un secret de la plus haute importance, elle lui d'eclara d’un air tout troubl'e :
— Louis est en train de se d'eranger, et je ne sais pas si le pauvre enfant ne perd pas la t^ete… Figurez-vous, madame…
M me F'erot racontait alors `a son interlocutrice, qui s’armait de patience pour 'ecouter cette histoire, la singuli`ere aventure de la veille, et la punition qu’avait encourue le petit Louis pour avoir affirm'e `a l’instituteur devant toute la classe qu’il avait vu sur le Casque-de-N'eron, un g'eant 'etendu, dormant dans la montagne.
M me F'erot ignorait, d’ailleurs, ce qui allait se passer au cours de l’apr`es-midi suivante, et assur'ement elle serait bien 'etonn'ee lorsqu’en revenant `a Grenoble elle apprendrait que d’autres comme son fils avaient 'et'e t'emoins d’une semblable vision.
Mais, pour le moment, M me F'erot, comme le ma^itre d’'ecole la veille, avait l’intime persuasion que le petit Louis, inspir'e par ce h^ableur de Michel, avait fait simplement un mensonge.
Enfin, M me F'erot partie et M me Verdon rest'ee seule chez elle, celle-ci erra quelques instants dans son jardin, et machinalement repoussa sous les buissons d'ej`a couverts de feuilles quelques branches mortes qui obstruaient les all'ees sabl'ees.
— Puisque je vais avoir un locataire, songea-t-elle en 'etouffant un soupir, il importe que mon jardin soit bien tenu !
M me Verdon montait alors au deuxi`eme 'etage de sa maison, o`u d’ordinaire elle ne venait qu’`a de bien rares intervalles.
Les pi`eces, `a cet 'etage, 'etaient froides, humides, renferm'ees. On y sentait une persistante odeur de moisi comme dans les appartements qui depuis longtemps n’ont pas eu d’habitants.
M me Verdon qui avait, pendant quelques heures de la journ'ee, une femme de m'enage `a son service, se disposait `a aller chez celle-ci la prier de revenir lorsque soudain, alors qu’elle s’appr^etait `a fermer sa maison pour aller jusqu’au village de Dom`ene, elle apercut quelqu’un qui, ayant franchi la grille du jardin, arrivait jusqu’au perron de la maison.
Du premier coup, M me Verdon reconnut le personnage que lui avait annonc'e M me F'erot, rien qu’`a la silhouette tr`es particuli`ere qu’il avait.
C’'etait absolument le bonhomme No"el avec sa grande barbe blanche descendant jusqu’`a la ceinture et ses cheveux boucl'es tr`es longs et tr`es blancs aussi s’'echappant d’une calotte de velours plac'ee sur le sommet du cr^ane.
Le personnage avait le physique que l’on se compla^it `a accorder par l’imagination aux gens qui exercent sa profession.
Il 'etait drap'e dans une sorte de grande houppelande, ressemblant aussi bien `a une robe de chambre qu’`a un pardessus, et que serrait `a la taille une cordeli`ere comme en ont les religieux des ordres mendiants.
Le personnage 'etait chauss'e de gros souliers ferr'es, et sur son dos vo^ut'e il portait, suspendue par une courroie, une grande besace de cuir, gonfl'ee de linge et de cailloux.
— Monsieur le professeur Marcus ? interrogea M me Verdon qui r'eprimait un sourire en voyant l’accoutrement du bonhomme et qui malgr'e tout n’'eprouvait pas une mauvaise impression, car dans le visage de ce vieillard, dont les traits 'etaient dissimul'es sous une 'epaisse touffe de poils hirsutes recouvrant presque enti`erement la face, brillaient deux yeux 'etrangement intelligents et spirituels.
Comme l’avait dit l’inspecteur du Palace-H^otel, le mari de M me F'erot, cet homme-l`a ne devait pas ^etre une b^ete, loin de l`a !
Le vieillard, cependant, s’inclinait devant son interlocutrice. Et, en faisant ce mouvement, il l^acha son sac, qui s’'eventra sur le sol, r'epandant autour de lui tout un attirail de g'eologue, comportant des petites pioches en acier, des truelles et des 'echantillons de pierres aux couleurs 'eclatantes.
Cependant qu’il jetait un coup d’oeil attrist'e sur son bagage r'epandu dans le jardin, le vieillard, qui assur'ement connaissait les usages du monde, laissait ces objets dans leur d'esordre pour s’approcher de M me Verdon et se pr'esenter `a elle dans les r`egles.
— Je suis, en effet, le professeur Marcus, d'eclara-t-il, Marcus de Zurich, dont vous avez peut-^etre entendu parler. Mes travaux sont d’ailleurs connus de toutes les personnes intelligentes et instruites qui s’int'eressent `a la g'eologie…
M me Verdon l’interrompit :
— Monsieur le professeur, fit-elle, je ne suis qu’une pauvre femme, une humble m'enag`ere, et je n’entends rien `a votre science, mais votre nom m’est connu parce que la femme de l’inspecteur du Palace-H^otel, auquel vous vous ^etes adress'e hier au soir, sort d’ici et m’a fait conna^itre votre intention de vous installer chez moi.
Un 'eclair de satisfaction br^ula dans le regard du vieillard, qui, s’inclinant `a nouveau jusqu’`a terre, interrogea d’un air humble :
— Aurai-je l’honneur d’^etre agr'e'e par vous, madame ?
M me Verdon, bien qu’elle f^ut fort triste `a son ordinaire, se pinca les l`evres pour ne point rire.
— Il ferait une demande en mariage, pensa-t-elle, que ce noble vieillard ne serait pas plus solennel !
Et s’efforcant de se hausser au ton de son interlocuteur, elle r'epondit, esquissant une r'ev'erence :