Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— Je serais tr`es honor'ee, monsieur le professeur, de vous avoir pour locataire au second 'etage de ma maison, si toutefois mes conditions vous conviennent et si vous n’^etes pas trop difficile !
Pendant ce temps, le professeur avait ramass'e les cailloux, les outils et le linge qui s’'etaient 'echapp'es de son sac ; ayant remis le tout `a l’int'erieur de la besace il r'epliqua d’un ton p'en'etr'e :
— Mes conditions seront les v^otres, madame, et je me d'eclare d’avance satisfait de votre installation, car je la trouverai certainement confortable. J’ai l’habitude, en effet, de passer la moiti'e de mes nuits `a la belle 'etoile et de g^iter dans la montagne `a la mani`ere des bergers ou m^eme des chamois.
— Voulez-vous, proposa M me Verdon, que je vous fasse voir vos futurs appartements ?
D`es lors, M me Verdon guidait son h^ote dans la demeure.
— Voici, lui d'esignait-elle, votre chambre `a coucher. `A c^ot'e se trouve le cabinet de toilette.
Le vieillard ne regardait point l’ameublement, ne tenait point compte de l’odeur de moisi.
Il avait couru droit `a la fen^etre et, apr`es l’avoir ouverte, se penchait par-dessus la balustrade du balcon pour regarder au-dehors.
— Quel superbe panorama ! dit-il. C’est un pays d’enchantement et de r^eve que ce Dauphin'e. Je vous f'elicite, madame, de vous y ^etre install'ee. Vivez-vous l`a depuis longtemps ?
— Dix ans, monsieur, et un peu plus encore peut-^etre, mais comme vous le dites, c’est un pays d'elicieux, parfois s'ev`ere et m'elancolique, toujours beau !
— On a l’impression, poursuivit le professeur, que ces grandes montagnes qui se dressent en face de vous sont des ^etres qui pensent et que les nuages qui se meuvent au-dessus de leurs cimes sont des ^etres vivants. Souvent, madame, il m’est arriv'e, lorsqu’au cours de mes p'er'egrinations je heurtais de mon maillet le flanc de quelque roche, d’avoir l’impression tr`es nette que je commettais une sorte de sacril`ege, et que je faisais souffrir quelque g'eant de pierre immobilis'e sous la forme d’une montagne par la volont'e d’un ^etre tout-puissant !
M me Verdon hochait la t^ete, s'eduite par le langage et la conversation de son interlocuteur.
Assur'ement, c’'etait non seulement un homme instruit ayant de belles et grandes pens'ees, mais encore un esprit distingu'e et d'elicat.
Il n’avait aucun accent bien qu’il f^ut de Zurich ; incontestablement, son 'erudition devait ^etre profonde.
M me Verdon, cependant, reprenait :
— Voulez-vous que nous passions maintenant dans la salle `a manger ?
Mais `a ces mots, le professeur Marcus eut un sursaut de surprise.
— Dans la salle `a manger ?… fit-il, aurai-je donc une pi`ece semblable `a ma disposition ?…
— Sans doute, fit M me Verdon.
Puis, voyant l’air ennuy'e du savant, elle interrogea :
— Est-ce que cela vous d'eplairait par hasard ?
— Ma foi oui, articula nettement le professeur Marcus. Je vous avoue, madame, que le fait d’avoir une salle `a manger comportera n'ecessit'e de poss'eder 'egalement une cuisine.
— Mais certainement, fit M me Verdon.
Et elle se dirigeait vers l’extr'emit'e d’un couloir dans l’intention de montrer `a son futur locataire que l’indispensable cuisine existait. Celui-ci l’arr^eta :
— N’en faites rien, madame, je vous en prie, demanda-t-il ; je suis convaincu que votre maison est fort bien agenc'ee, mais il me vient encore une id'ee p'enible `a l’esprit. L’existence d’une cuisine pr'esuppose la n'ecessit'e d’avoir une cuisini`ere, et je vous assure que je me vois bien mal discutant avec une personne remplissant cet emploi, le cours actuel, pass'e ou futur des denr'ees alimentaires !
— Cependant, fit M me Verdon, cela est une n'ecessit'e de l’existence !
Et elle pensait `a part soi :
— Quel diable d’original que ce vieux savant !
Toutefois, le professeur Marcus avait une facon d’^etre et de dire les choses qui inspiraient la sympathie.
Il se rendait compte que son attitude ne d'eplaisait point `a M me Verdon, et d`es lors le vieux g'eologue consid'erant son interlocutrice bien en face, lui sugg'era :
— J’imaginais, madame, qu’en venant m’installer chez vous, je pourrais esp'erer ^etre d'ebarrass'e de tous ces petits soucis de la vie mat'erielle qui nuisent au calme de mon cerveau, qui m’est n'ecessaire pour poursuivre mes travaux. Oh ! je ne suis pas difficile, et la moindre chose me convient. Deux oeufs sur le plat, une c^otelette, voil`a mon d'ejeuner ! Quant au d^iner, quelques l'egumes et un verre d’eau, cela suffit largement `a mes besoins !
— Je vous vois venir ! fit en souriant M me Verdon. Vous voudriez que je m’occupe de vos repas !
— Vous seriez, r'etorqua le professeur, la plus aimable des femmes, si vous acceptiez !
— Mon Dieu ! fit M me Verdon apr`es un silence, je n’y vois gu`ere d’inconv'enient ; ma femme de m'enage est fort capable de pr'eparer nos repas `a tous deux, et si cela vous rend service, j’en serais fort heureuse…
Tr`es homme du monde, le vieux savant, s’inclinant devant M me Verdon et lui prenant la main, y d'eposait un baiser respectueux.
La vieille dame en fut tout 'emue.
— D'ecid'ement, c’est un homme charmant ! se dit-elle.
Apr`es avoir appr'ehend'e le premier contact avec ce locataire inconnu qu’elle avait d'ecid'e d’introduire chez elle sans trop savoir pourquoi, dans le simple but d’utiliser un 'etage de sa maison qui ne servait `a rien, et non pour gagner de l’argent, puisqu’elle 'etait riche, M me Verdon s’humanisa tout `a fait.
— Au fait, interrogea-t-elle, ayant consult'e une pendule qui, par hasard, marchait, et constat'e qu’il 'etait une heure de l’apr`es-midi, au fait, avez-vous d'ejeun'e, monsieur ?