Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Monsieur Dominet, lui d'eclara-t-il, je vous suis bien reconnaissant de l’aimable visite que vous ^etes venu me faire. Veuillez transmettre `a M. le pr'esident de la Chambre des notaires l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Les deux hommes se congratul`erent quelques secondes, chaleureusement, puis, M. de Parcelac ajouta :
— La personne `a qui je vous adresse va vous fournir toutes les explications qu’il vous conviendra de recueillir.
Le directeur poussa l’importun vers la porte :
— Au revoir, monsieur Dominet.
— Au revoir, monsieur le directeur.
Cependant que M. de Parcelac revenait avec pr'ecipitation `a son bureau ministre et que, tout en appuyant sur des timbres divers, il d'ecrochait son r'ecepteur t'el'ephonique pour demander une communication, M. Dominet, toujours obs'equieux et poli, s’effacant chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un dans les couloirs de la banque, suivait l’huissier qui le conduisait au bureau des Services ext'erieurs. Il se trouva l`a en pr'esence d’un brave homme d’employ'e, que l’attitude distingu'ee de M. Dominet, et particuli`erement son monocle noir, impressionn`erent au plus haut point.
— C’est bien de l’honneur pour moi, monsieur le secr'etaire de la Chambre des notaires, d'eclarait-il, en faisant force courbettes devant M. Dominet, de recevoir votre visite. Je vais vous montrer, puisque cela vous int'eresse, comment nous proc'edons pour le tirage de ces loteries.
M. Dominet daigna sourire :
— Je suis, en effet, fort intrigu'e, d'eclara-t-il, fort anxieux de savoir comment cela se passe.
Les deux hommes pass`erent dans une salle voisine du bureau, o`u se trouvaient des sacs de diverses dimensions, une grande table et des cylindres mont'es sur un b^ati en m'etal.
— Qu’est-ce que c’est que cela ? demanda M. Dominet.
Son interlocuteur eut l’air 'etonn'e :
— Voyons, fit-il ; mais mon cher monsieur Dominet, ce sont les roues pour tirer les loteries. Vous ne les reconnaissez donc pas ? Voil`a pourtant trois semaines que nous en avons fait livrer une `a votre administration. Vous savez bien. La loterie devait se tirer le mois dernier, et puis, comme toujours, on a d^u reculer la date de l’op'eration, tous les billets n’'etant pas plac'es. Enfin, c’est toujours pour aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Si l’employ'e de la Banque avait 'et'e perspicace, il se serait peut-^etre apercu que M. Dominet, imperceptiblement, avait tressailli. L’'el'egant personnage au monocle noir reprenait d’ailleurs aussit^ot toute son assurance, et il s’excusa de sa question superflue :
— Je vous demande pardon, fit-il en souriant, je ne connais que ca, en effet, et cette roue que vous nous avez livr'ee il y a trois semaines, je puis vous le dire en passant, encombre m^eme singuli`erement mes locaux. Mais voil`a, en entrant dans cette pi`ece, j’avais mal vu ses soeurs jumelles.
Il ajoutait :
— J’ai malheureusement de si mauvais yeux.
— Oui, dit l’employ'e, je comprends.
Et il jetait un regard apitoy'e sur le monocle noir de M. Dominet.
Celui-ci, cependant, interrogeait :
— Les num'eros, pour les tirages au sort, comment les livrez-vous ?
— Oh, fit le directeur des services ext'erieurs, cela se passe tr`es solennellement. Vous comprenez, dans les loteries de ce genre, il faut que tout se passe de la facon la plus correcte. Voici ce que nous allons faire : votre loterie a lieu, je crois, vers dix heures ? Eh bien, nous vous enverrons `a six heures du soir, deux de nos garcons de bureau, porteurs chacun d’un sac contenant les num'eros n'ecessaires pour remplir les roues. Il y a cent cinquante num'eros dans chaque sac, num'erot'es de un `a dix, et ainsi de suite. De telle sorte que l’on peut former n’importe quel chiffre. Vous comprenez toute l’importance de ce transport de num'eros ? Il faut tant se m'efier, par le temps qui court, non seulement des malfaiteurs, mais encore des m'echantes gens qui soupconnent toujours les personnes, m^eme les plus honorables, ou les administrations les plus s'erieuses comme la n^otre, de faire des choses ind'elicates.
M. Dominet approuva :
— Vous avez parfaitement raison, et je dois vous dire que le but de ma visite 'etait de me renseigner exactement sur votre facon de proc'eder. Afin d’^etre au courant moi-m^eme, car il va sans dire que j’assisterai ce soir au tirage au sort de notre loterie.
— Vous avez des lots importants ? demanda l’employ'e de la banque.
— Mon Dieu, fit M. Dominet, d’un air d'etach'e, encore assez. Le gros lot est de deux cent mille francs, et il y en a trois autres de cinquante, vingt et dix mille francs.
— Allons, fit l’employ'e de banque, en se frottant les mains, esp'erons que tout se passera bien.
Il appela deux hommes qui travaillaient dans la salle :
— Th'eophile ! Martial !
Les deux employ'es se retourn`erent, vinrent aux ordres :
— C’est vous, n’est-ce pas, qui ^etes d'esign'es pour aller livrer ce soir, `a la Chambre des notaires, les sacs de num'eros ?
— Oui, monsieur le directeur, r'epondirent-ils ensemble.
Le personnage se tourna vers M. Dominet :
— Vous voyez que tout est pr'evu. Ce soir, `a sept heures exactement, ces deux employ'es seront `a votre administration.
Et le directeur demanda encore :
— Les scell'es sont-ils d'ej`a mis sur les sacs ?
— Ils y sont, monsieur le directeur, r'epondit Martial.
— Oh, oh, observa M. Dominet, je vois d'ecid'ement que vous poussez les pr'ecautions `a l’extr^eme. Tous mes compliments !
Il tourna sur ses talons, pr'ec'eda son h^ote vers la sortie de la salle.
En longeant une 'etag`ere, il apercut un cachet rouge, sur une feuille de papier blanc.
— Qu’est-ce que c’est ? interrogea-t-il curieusement.
— Eh bien, cher monsieur, fit aimablement le directeur des services ext'erieurs, c’est pr'ecis'ement le cachet des scell'es dont je vous parlais tout `a l’heure.
Il prit la feuille de papier.
— Vous voyez, ajouta-t-il, la cire porte les initiales entrelac'ees de notre raison sociale. C. N. Comptoir national.