Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— Si je vous demande ces renseignements, c’est toujours dans l’espoir que je vais d'ecouvrir, en causant avec vous, quelqu’un qui pourra m’acheter des tapis.
Un coup de sifflet rauque retentissait : c’'etait le train sur route qui arrivait de Grenoble avec une demi-heure de retard.
Et tandis que le cabaret, consid'er'e comme salle d’attente, se vidait instantan'ement, et que les wagons du petit chemin de fer se remplissaient de voyageurs, Juve quittait aussi la salle d’auberge, et s’en allait dans la direction de la propri'et'e habit'ee par M me Verdon.
Une heure apr`es, le policier revint dans le cabaret. Il 'etait de fort mauvaise humeur et son visage peignait assur'ement ses sentiments, car le cabaretier, l’ayant apercu, s’en vint s’asseoir `a c^ot'e de lui.
Il lui tapait famili`erement sur l’'epaule.
— Eh bien, mon garcon, dit-il, il faut croire que ca n’a pas march'e !… Vous avez l’air tr`es ennuy'e !
— Oui, reconnut Juve, cette dame n’a m^eme pas voulu me recevoir !
— Bast ! fit le cabaretier. Un client de perdu, dix de retrouv'es… Il faut se faire une raison, mon ami. Vous avez l’air fatigu'e ; `a votre place, je d'ejeunerais bien tranquillement ici et ensuite je m’en irais `a Grenoble, o`u je serais s^ur de faire plus d’affaires.
— Peut-^etre avez-vous raison, poursuivit Juve qui s’attablait et, m'elancoliquement, commencait le repas que lui avait conseill'e de faire le cabaretier.
Juve, en effet, n’avait pas 'et'e recu chez M me Verdon.
Il n’avait pas insist'e pour arriver jusqu’aupr`es d’elle, ce qui lui aurait 'et'e ais'e s’il avait voulu faire conna^itre sa qualit'e d’inspecteur de police, s’il avait simplement prononc'e son nom.
Mais Juve, dans cette affaire, tenait `a faire ses enqu^etes incognito, et les domestiques lui ayant r'epondu d’un ton bourru que madame ne le recevrait certainement pas, il s’en 'etait all'e.
Dans l’apr`es-midi, Juve regagnait lentement Grenoble. Il pouvait ^etre environ trois heures et demie ou quatre heures, lorsque soudain, dans le tramway o`u il se trouvait, une vive 'emotion sembla se d'eterminer soudainement.
On 'etait arr^et'e dans une petite gare, et les voisins de Juve, des campagnards et des campagnardes, avaient tous quitt'e leur place, s’'etaient port'es en masse d’un seul c^ot'e du train-tramway et, ayant abaiss'e les vitres pour regarder par les fen^etres ouvertes, scrutaient le ciel d’un air anxieux et intrigu'e.
Juve se demandait quel pouvait bien ^etre le motif de cette attention subite qui se portait dans une direction d'etermin'ee.
Il 'ecoutait les conversations, il entendait s’'echanger certains propos bizarres :
— Je crois que je vais avoir bien peur ! articulait une jeune fille qui pincait jusqu’au sang le bras de son voisin, un jeune homme, son amoureux probablement.
Un vieux paysan, au chef branlant, secouait la t^ete et souriait de l’air d'esabus'e et ironique des gens qui ont vu bien des choses.
Il 'etait `a c^ot'e de Juve, et famili`erement, le prit `a t'emoin :
— Croyez-vous, tout de m^eme, que cette jeunesse est na"ive ! Parce que le bruit en a couru hier dans les cabarets, ils s’imaginent qu’ils vont le voir, comme ca, `a l’heure dite, comme s’il avait d’ailleurs exist'e !
— 'Evidemment ! fit Juve, qui voulait avoir l’air de comprendre et qui ne comprenait pas…
L’employ'e du train allait donner le signal du d'epart, mais il se heurta `a une protestation indign'ee de tous les voyageurs.
— Attendez donc cinq minutes ! lui criait-on. Voil`a le soleil qui baisse… il est tout pr`es du pic le plus 'elev'e, et nous n’allons pas tarder `a le voir…
Et c’'etait alors des petits cris de femmes apeur'ees, des ricanements b^etes de gens qui ont un peu peur, des chuchotements de tous c^ot'es…
— Le voil`a ! le voil`a ! criait-on.
Et tous les regards se portaient dans la direction du sommet d’une montagne que Juve savait ^etre le Casque-de-N'eron.
Le conducteur du train n’avait pas donn'e le signal du d'epart, et il 'etait lui-m^eme, oubliant son r^ole officiel, parmi les plus excit'es `a l’id'ee de ce que l’on allait voir.
Or, les voyageurs s’'etaient 'evidemment tromp'es, car il y eut un murmure de d'esappointement qui succ'eda aux cris d’all'egresse ; on ne voyait rien, absolument rien d’anormal, sur la montagne aux cimes couronn'ees de neige, et que dorait un soleil couchant dans le faisceau lumineux de ces derniers rayons du soir.
Juve, comme les autres, regardait, et il n’osait, de peur de se faire remarquer, demander ce que l’on attendait, ce que l’on esp'erait voir.
Il allait cependant poser la question `a son voisin, le vieux paysan au chef branlant, lorsqu’une clameur immense s’'eleva de la foule des voyageurs du train-tramway :
— Le voil`a ! le voil`a !
— Cette fois il n’y a pas de doute… regardez donc comme il est grand !
— Bien s^ur, puisque c’est un g'eant…
— Comme il a l’air m'echant !
— Vous ne pouvez pas savoir, on ne voit pas sa figure…
— Et ses pieds !… Sont-y gros !… Voyez sa chaussure ; on dirait une charrette `a foin !
Cette fois, Juve, dont le regard avait suivi les regards de la foule et dont les oreilles entendaient ce qui se disait autour de lui, devint p^ale, tr`es p^ale.
Certes, il 'etait `a cent lieues de s’attendre au spectacle qu’il voyait d'esormais, spectacle assur'ement nouveau pour lui, mais qui semblait ^etre familier aux habitants de la r'egion.