Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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M. Robert alors prenait par le bras son guide :
— Eh bien, mon ami, fit-il, voil`a une peur dont il faudra vous d'ebarrasser, car c’est pr'ecis'ement pour savoir ce que c’est que ce g'eant que je vous ai embauch'e pour me conduire dans la montagne…
Quel 'etait donc ce M. Robert qui voulait `a toute force parvenir au sommet du Casque-de-N'eron ?
M. Robert, c’'etait Juve !
Le policier, par son 'energie habituelle et sa froide r'esolution, triomphait enfin des scrupules de son guide.
Celui-ci avait eu peur, en effet, de s’approcher des cimes neigeuses de la fameuse montagne, depuis qu’il 'etait question qu’un g'eant l’habit^at.
Mais l’'energique attitude de son client le voyageur, et aussi le d'esir de savoir, qui le tenaillait au coeur, avait surexcit'e la curiosit'e, l’entrain, ainsi que le courage du jeune homme.
Apr`es leur entretien au milieu de la montagne, au cours duquel ils s’'etaient expliqu'es l’un et l’autre, Juve et son guide 'etaient repartis. Il 'etait trois heures exactement lorsqu’ils parvinrent au commencement du glacier.
Ce qui paraissait ^etre, vu de Grenoble, un petit lac miroitant, de dimensions restreintes, 'etait en r'ealit'e un 'enorme champ de glace ou, pour mieux dire, une cro^ute gigantesque sous laquelle grondaient des torrents qui se pr'ecipitaient en flots tumultueux vers les gorges profondes et abruptes creus'ees au fond des pr'ecipices.
Le glacier commencait `a se vider en dessous et, comme l’avait laiss'e entendre le guide, il pouvait ^etre dangereux de s’y aventurer, une crevasse dans la neige ou la glace pouvant conduire `a un ab^ime insondable.
Juve, toutefois, avec la t'em'erit'e inconsciente du touriste qui n’a pas l’habitude des montagnes, s’avancait sur la surface polie comme un miroir du grand glacier.
Il allait toujours, la carte `a la main, rep'erant sa position avec une minutie de g'eographe, et semblant chercher quelque chose avec une attention soutenue.
Juve tourna sur la droite, s’avanca vers le coeur du glacier.
Le guide le suivait `a distance. Les deux hommes 'etaient reli'es par une corde.
Le montagnard 'etait stup'efait de l’audace tranquille de son client, mais il 'etait surtout inquiet, troubl'e, `a l’id'ee que l’heure `a laquelle on voyait le g'eant approcher, et qu’en r'ealit'e il se trouvait, lui et le touriste, sur le champ de glace o`u d’ordinaire on voyait 'etendu l’homme aux proportions gigantesques.
Allait-il surgir soudain, ce g'eant ?
Et si cette apparition se produisait, qu’adviendrait-il du guide et de son client ?
Le guide 'etait de moins en moins rassur'e, tandis que Juve 'etait de plus en plus perplexe.
Le policier transpirait `a grosses gouttes, malgr'e le froid qui r'egnait sur le glacier. Tout `a coup, il rebroussa chemin, et s’en vint se placer `a c^ot'e du guide.
— O`u sommes-nous exactement ? lui demanda-t-il.
`A voix basse le guide r'epondit :
— Exactement, monsieur, `a l’endroit o`u s’installe le g'eant. Moi, qui connais la montagne, je puis vous assurer qu’`a dix m`etres au-dessus de nous, pr`es de ce bloc de glace qui miroite actuellement au soleil, le g'eant, d’ordinaire, pose son pied gauche… vous savez… celui qui est d'echauss'e !
Instinctivement, les yeux des deux hommes se dirigeaient vers le bloc de glace, que le guide avait d'esign'e et plac'e `a quelques m`etres au-dessus d’eux.
Or, `a ce moment pr'ecis, tandis que les deux hommes fixaient leur attention sur le bloc de glace, ils pouss`erent un hurlement de surprise :
— Le pied du g'eant ! cri`erent-ils.
Et, en effet, `a leurs yeux stup'efaits, se r'ev'elait une vision extraordinaire :
C’'etait un pouce, un pouce 'enorme… un pouce de pied nu, qui leur apparaissait `a travers la transparence de la glace, un pouce qu’ils apercevaient, maintenant que le soleil frappait directement sur le glacier !
Cependant que le guide reculait d’'epouvante, Juve se pr'ecipitait en avant. La corde se tendait entre lui et son guide ; il la coupait d’un coup de hachette et, sans se douter du danger qu’il courait, il se glissait sur le bloc de glace. D`es lors Juve demeura cramponn'e `a une aiguille qui fondait sous la chaleur de son corps, abasourdi, stup'efait de ce qu’il voyait.
Oh ! la chose 'etait d'esormais facile `a comprendre, et le policier, en l’espace d’une seconde, avait l’explication des apparitions extraordinaires qui avaient tellement troubl'e, depuis quarante-huit heures, la population de Grenoble et des environs.
Les gens ne s’'etaient pas tromp'es en disant qu’il y avait quelqu’un dans la montagne, mais leurs sens avaient 'et'e abus'es lorsqu’ils avaient pris ce quelqu’un pour un g'eant !
C’'etait, au contraire, un homme petit, fluet et mince, un homme mort… un cadavre !
Juve, qui avait p^ali en le voyant, serrait les poings en le contemplant. Car, cette fois, il n’y avait plus de doute, et les soupcons qu’il avait form'es la veille dans le tramway qui le reconduisait `a Grenoble se pr'ecisaient nettement dans son esprit.
Juve 'etait en pr'esence du cadavre de l’infortun'e Daniel, et le cadavre du malheureux garcon 'etait emprisonn'e dans une enveloppe de glace, comme une statue dans son moule.
Or, il s’'etait pass'e un ph'enom`ene que Juve comprenait tr`es bien : chaque fois que le soleil dardait ses rayons, selon un certain angle, sur cette glace 'epaisse, celle-ci formait une v'eritable lentille, grossissant d'emesur'ement les corps qu’on voyait par transparence au milieu du bloc de glace.
Voil`a pourquoi le cadavre de l’infortun'e Daniel, apercu `a un certain moment de la soir'ee, lorsque le soleil l’'eclairait, semblait, vu de Grenoble et des environs, ^etre le cadavre d’un g'eant !
Juve, s’il avait d'ecouvert, en raisonnant, ce simple probl`eme de physique, l’explication du myst`ere qui troublait Grenoble, 'etait pour son compte terriblement stup'efait !
Il n’osait croire ses yeux, ne comprenait point ce qui s’'etait pass'e, car il n’y avait pas de doute, dans cette glace se trouvait le cadavre de Daniel. Or, ce cadavre, Juve l’avait vu l’avant-veill'e, avant de quitter Paris, sur les dalles de la morgue.