Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— 'Ecoutez, commanda-t-il `a la concierge.
M. Havard, `a cet instant, s’approcha du policier :
— Vous allez faire sonner les douze coups, dit-il pour vous assurer que la concierge sait compter jusqu’`a douze ?
Mais Juve haussa les 'epaules.
— Je me fiche pas mal de sa pendule, r'epondit-il, ce n’est pas elle qu’elle a entendu sonner.
Et Juve, posant la pendule `a terre, un peu brusquement m^eme, tira de sa poche un timbre sur lequel, du dos de son canif, il frappa douze coups.
— Madame la concierge, appela-t-il, qu’entendez-vous ?
— J’entends sonner ma pendule, affirma la porti`ere.
Juve s’'epongea le front, en regardant M. Havard :
— Vous comprenez ?
— Non, pas du tout.
— C’est pourtant simple.
Juve rapportait la pendule dans la loge, remerciai l’obligeante porti`ere d’un sourire myst'erieux, revint prendre Havard par le bras :
— 'Ecoutez, faisait-il, je ne crois toujours pas `a l’assassinat de Baraban, pourtant voici quelque chose de troublant. M. Havard, vous avez pu voir que je n’ai pas fait sonner la pendule de la concierge, j’ai tout simplement heurt'e douze fois le timbre que voici avec mon canif, et la brave femme s’y est tromp'ee. Par cons'equent…
Mais cette fois, enfin, M. Havard avait compris :
— Ah sapristi, s’exclama-t-il. Juve, vous ^etes g'enie. Parbleu, je devine ce que vous imaginez. Baraban, dites-vous, n’est pas rentr'e `a minuit, il est rentr'e vers les onze heures moins vingt, n’est-ce pas ? Ce sont les assassins, qui, pour tromper la concierge, au moment o`u Baraban rentrait, ont frapp'e douze coup sur ce timbre. La concierge a cru qu’il 'etait minuit, alors qu’il n’'etait pas si tard que cela. Baraban n’a pas remarqu'e la chose, a cru que c’'etait onze heures qui sonnaient. Peut-^etre la porti`ere, `a moiti'e endormie, ne s’est pas apercue qu’il s’agissait d’un autre timbre que celui de sa pendule.
M. Havard appuy'e contre le mur du vestibule, n’arr^etait plus :
— Dans ce cas, tout s’explique merveilleusement. Ah mon vieux Juve, quel service vous me rendez l`a ! Parbleu, voici comment les choses ont d^u se passer : Baraban est sorti avec sa ni`ece `a dix heures et demie. Il l’a quitt'ee un quart d’heure plus tard peut-^etre. Il est rentr'e chez lui. C’est `a ce moment que l’assassin, cach'e dans son appartement, a trouv'e moyen de faire sonner minuit en heurtant douze fois un timbre. C’est `a ce moment 'egalement que le pauvre Baraban a 'et'e tu'e, et, comme l’heure de minuit ne nous g^ene plus, comme nous venons, d’autre part, de retrouver un mouchoir sanglant portant les initiales A. R., tout permet de supposer que ce sont bien les 'epoux Ricard qui ont commis le meurtre. Ils ont eu parfaitement le temps d’aller prendre ensuite le train de onze heures quarante-cinq et m^eme de faire remarquer l’alibi qu’ils s’'etaient pr'epar'e en d'eposant une r'eclamation.
M. Havard, `a ce moment, s’interrompit net en voyant Juve 'eclater de rire :
— Vous ^etes bien de mon avis, Juve ?
— Non, r'epondit Juve.
Et, comme M. Havard le regardait interloqu'e, Juve s’expliqua :
— Je ne peux pas croire que les Ricard soient des assassins, puisque je ne crois pas au crime.
M. Havard alors, n'egligea de discuter plus avant avec Juve :
— Dites-moi, demandait-il simplement, comment avez-vous pens'e `a la ruse du timbre ? Et comment se fait-il surtout que vous aviez pr'ecis'ement aujourd’hui un timbre dans votre poche ?
Or, Juve `a ces mots, 'eclata de rire encore une fois.
— Monsieur Havard, ripostait-il, c’est tout simplement un fait du hasard. Ce timbre n’est pas un timbre quelconque, c’est le timbre m^eme des assassins, d’apr`es ce que vous dites, de M. Baraban partant en fugue, d’apr`es ce que je crois. Figurez-vous qu’hier, comme je venais voir Fandor, la concierge m’a montr'e cet objet. Je suis tr`es bien avec elle. Cette brave femme me demandait si ca ne venait pas d’une de ses sonneries et si, par hasard, je ne saurais pas arranger cela, vu que sa porte d’entr'ee ne sonnait plus. J’ai mis l’objet `a ce moment-l`a dans ma poche, sans y pr^eter grande attention. C’est tout `a l’heure que son importance m’a saut'e aux yeux. C’est tout `a l’heure que je me suis dit :
Une demi-heure plus tard, Juve venait de prendre cong'e de M. Havard et il remontait `a l’appartement tragique. Juve 'etait soucieux.
— M. Havard se trompe, murmurait-il. Le voil`a maintenant d'ecid'e `a ordonner la mise en libert'e de Th'eodore Gauvin et de Brigitte, mais le voil`a aussi d'ecid'e `a arr^eter Fernand et Alice Ricard. Ah, sapristi, que c’est donc assommant qu’il veuille marcher si vite !
Juve, en effet, ne pouvait pas admettre, ne voulait pas admettre au moins, qu’il y ait eu assassinat. Plus il r'efl'echissait `a la myst'erieuse affaire qu’il 'etudiait depuis quelque temps, et plus il lui apparaissait qu’elle devait s’expliquer par la fugue et non par le crime.
« Ce mouchoir, pensait Juve, de nouveau `a genoux devant la chemin'ee o`u avait 'et'e retrouv'e cet indice compromettant, ce mouchoir, c’est bien extraordinaire qu’il soit rest'e dans ce sable. Et puis ce sable, comment serait-il tach'e de sang, puisqu’en fait, il n’aurait pas servi ? Comment se fait-il, surtout, que, lors de ma premi`ere enqu^ete, je ne l’ai point vu et que Fandor non plus ne l’ait pas vu ? »
Or, comme il disait ces mots, Juve sursauta, se redressa brusquement :
— Oh, oh, dit-il, parlant `a haute voix. Mais est-ce que ? Tiens, parbleu, cela expliquerait tout… Ca, par exemple.
Juve sortit de l’appartement avec une extr^eme pr'ecipitation.
Il grimpa l’escalier dans une h^ate folle, monta jusqu’au sixi`eme 'etage. L`a, il avisa une 'echelle sous une lucarne, se hissa jusqu’`a l’'etroit vasistas, l’ouvrit, et se trouva sur le toit.
Juve, alors, courut, risquant une chute, de chemin'ee en chemin'ee. Brusquement, il se frotta les mains.
— Cela, par exemple ! disait-il, c’est plus que je ne pouvais esp'erer. M. Havard est d'ecid'ement un imb'ecile.
Qu’'etait donc venu faire Juve sur le toit ? Que venait-il de trouver ?
Tout simplement il y avait au pied de la chemin'ee qu’il regardait, de vagues traces de sable. Et Juve raisonnait ainsi :
« Fandor, la nuit derni`ere, a entendu – il me l’a dit `a d'ejeuner – des bruits myst'erieux, dans l’'epaisseur de sa muraille. Il a cru que quelque chose s’'ecroulait, puis il a suppos'e que de l’eau coulait dans une tuyauterie. Oh, oh, est-ce que par hasard ca n’aurait pas 'et'e autre chose ? »