Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Jacques ! Jacques ! Sauve-moi, criait la malheureuse. Je suis innocente !
Le pauvre jeune avocat ne pouvait qu’ouvrir les bras et la serrer tendrement sur sa poitrine :
— Aie du courage, disait-il, ne t’affole pas. Je sais bien que tu es innocente. Le tout, c’est de le prouver, mais nous y arriverons.
Juve, lui aussi, murmura quelques mots `a la jeune femme :
— Mademoiselle, disait le policier, soyez calme et ne vous rendez pas malade. Voyez-vous, la sant'e, c’est la premi`ere des choses. Oui, croyez-moi. Ah, j’ai une autre recommandation `a vous faire : t^achez de ne point vous troubler et r'epondez toujours la v'erit'e. Rien que la v'erit'e, toute la v'erit'e. Le meilleur moyen de se d'efendre quand on est innocent, c’est de ne pas ruser.
Juve allait continuer `a parler, mais la main de M. Havard se posait sur son 'epaule :
— Juve, reprochait le chef de la S^uret'e, je ne vous comprends pas, mon ami. Vous semblez plein de bienveillance `a l’'egard de cette femme. Elle a tu'e. Elle est coupable.
Juve, `a ces mots, avait un ind'efinissable sourire :
— J’endors son esprit, disait-il, je la dupe, patron.
Cette conversation devait cesser cependant, car le juge d’instruction s’impatientait :
— Je vous prierai de faire silence, demanda-t-il.
Et, s’adressant `a l’inculp'ee, il ajoutait :
— Mademoiselle, vous persistez `a soutenir que la nuit du crime, vous vous trouviez sous un pont et que vous y avez rencontr'e un jeune homme avec qui vous vous ^etes entretenue, qui vous a consol'ee, et que vous n’aviez jamais vu auparavant ?
— Oui, monsieur.
— Ce jeune homme, vous ^etes capable de le reconna^itre ?
— Oui, monsieur.
— Bien. Asseyez-vous ici dans ce coin et ne bougez plus.
Le juge se leva, alla ouvrir la porte d’un petit salon communiquant avec son cabinet, il en revint quelques instants plus tard, causant famili`erement avec le jeune Th'eodore Gauvin.
Le magistrat avait 'evidemment pr'evenu le jeune homme de n’avoir `a faire aucun geste suspect, d’adopter une attitude indiff'erente, tranquille.
Il voulait voir si Brigitte allait le reconna^itre.
Or, ce qui se passait 'etait d'efinitif, d'ecisif, surtout dans l’esprit de Juve.
`A peine Th'eodore Gauvin 'etait-il entr'e, en effet, dans le cabinet du juge d’instruction, qu’il apercevait Brigitte et que Brigitte l’apercevait :
— Ah ! mon Dieu, cria Th'eodore, mais voil`a la jeune femme que j’ai vue…
Et, en m^eme temps, Brigitte se pr'ecipitait vers Th'eodore en criant :
— Lui, c’est lui !
Cette confrontation amena naturellement quelque d'esordre parmi les assistants. Le notaire, M e Gauvin, bondissait sur son fils, l’empoignait aux 'epaules, lui plaquait deux vigoureux baisers sur les joues :
— Ah, mon petit ! dit le tabellion.
Et cet homme grave, digne, impassible d’ordinaire, avait deux grosses larmes au coin des yeux.
Havard, pendant ce temps, se frottait les mains, et clignait de l’oeil en regardant Juve :
— Ils ne sont pas forts, murmurait le chef de la S^uret'e. Ils se reconnaissent tout de suite sans difficult'e. Autant vaudrait pour eux avouer qu’ils sont complices.
`A l’autre bout de la pi`ece cependant, Michel retenait par le bras M e Faramont qui, tr`es p^ale, voulait s’'elancer vers sa ma^itresse.
— Brigitte, appelait le jeune avocat d’une voix qui tremblait, Brigitte, avais-tu jamais vu ce jeune homme ?
La voix aigre du juge d’instruction s’'eleva `a nouveau :
— Silence ! criait le magistrat.
Puis, l’on se tut, cependant que le juge reprenait d’une voix radoucie :
— Messieurs, votre conduite me surprend. Il me semble que vous ^etes tous ici dress'es comme des adversaires. Voyons, nous devrions chercher ensemble la v'erit'e.
Il recut `a bout portant deux protestations violentes :
— Mon fils est innocent, disait M e Gauvin, et vous voulez le perdre.
— Brigitte n’a rien fait, criait M e Faramont, l’alibi qu’elle invoquait se v'erifie, par cons'equent…
M. Havard insinuait :
— Il serait peut-^etre bon, monsieur le juge, de faire pr'eciser aux inculp'es les conditions dans lesquelles ils se sont connus. Nous avons recu `a ce sujet, hier, les d'eclarations de M lle Brigitte, nous n’avons pas entendu la d'eposition de M. Th'eodore Gauvin.
— En effet, dit le juge.
Et il interrogea Th'eodore :
— Comment avez-vous rencontr'e mademoiselle ?
Th'eodore Gauvin, tout naturellement, fit un r'ecit identique `a celui qu’avait fait, la veille, la ma^itresse de Jacques Faramont.
***
Une heure plus tard, Juve et M. Havard descendaient ensemble les degr'es du perron du Palais de Justice.
— Voyez-vous, Juve, disait M. Havard en claquant de la langue en signe de satisfaction, cette affaire va se terminer tr`es vite, tr`es facilement. Cette confrontation ne peut laisser aucun doute. Th'eodore Gauvin et Brigitte soutiennent exactement la m^eme fable, il y a donc entente entre eux. Cela 'etablit la pr'em'editation, et cela prouve, en outre…
— Pardon, interrompit Juve, mais avant de songer `a traiter ce r'ecit de fable, est-ce qu’il ne serait pas possible de se demander s’il n’est point, au contraire, l’expression de l’exacte v'erit'e ? Je ne vois pas pourquoi, par exemple, Th'eodore Gauvin et Brigitte ne se seraient pas rencontr'es comme ils le pr'etendent ?
Or, `a ces mots, M. Havard s’arr^eta net.
— Ah ca ! dit-il, mais vous avez l’air, Juve, de consid'erer que ces deux gaillards sont innocents ? Vous en tenez toujours pour l’hypoth`ese de la fugue ?